Terrorisme
en questions ?

L’Islam est violence

Stigmatisation et religion

Le port du voile, la taille de la barbe, la question du porc dans les cantines ou des horaires décalés pour hommes et femmes dans les piscines. Depuis le 11 septembre 2001 et le début de la vague terroriste islamiste (voir la fiche « Avant on avait la paix »), les occasions sont fréquentes de stigmatiser l’islam et le prétendu manque de volonté des musulmans de « s’intégrer ». L’islam est devenu un sujet central et récurrent du débat public.     

 Le massacre ne déplaît pas toujours à Dieu. Moïse n’a-t-il pas fait exécuter des milliers d’hommes ? Phinées n’a-t-il pas été récompensé par Dieu ?

Saint-Augustin, De Schismate Donatistarum

A tel point qu’au début de l’année 2017, un sondage1 réalisé auprès de 4000 belges soulignait que 63% des belges auraient peur de l’afflux des réfugiés « car ce sont des musulmans ». Deux sondés sur trois ont avoué un penchant islamophobe et sept sur dix estiment que l’islam est incompatible avec les valeurs de la Belgique.

Au cours de cette même enquête, quatre cents musulmans ont également été interrogés. Ils sont une très grande majorité à se sentir stigmatisés. Et cette stigmatisation est ressentie de manière encore plus forte après les attentats de Paris (janvier et novembre 2015) et de Bruxelles (mars 2016). Ainsi, les musulmans de Belgique ont de plus en plus peur de la haine qui se développe à leur égard (65 % contre 53 % avant les attentats). Ils ont l’impression qu’on les prend tous pour des terroristes (71 % contre 54 % avant les attentats).

Clairement, le lien – biaisé et surmédiatisé (voir la fiche « Je sais, je l’ai vu à la télé ») – entre islam et terrorisme permet d’expliquer ce sentiment de rejet de plus en plus massif de la société belge et, parallèlement, la peur grandissante au sein des communautés musulmanes.

Le débat public autour du phénomène terroriste suggère abondamment que l’islam proposerait des voies à ses fidèles pour entrer dans un processus de violence. Ce débat sous-entend que tout musulman serait porteur d’un gène de violence doctrinale qu’un événement déclencheur pourrait faire muter vers le terrorisme. Dès lors, si l’on veut lutter contre le terrorisme, il faudrait réformer l’islam en profondeur.

Le meurtre au nom de Dieu

Les idées peuvent tuer. L’histoire des religions montrent pour chacune d’entre elles qu’un même message fondateur peut être interprété au fil du temps dans des directions très différentes. Toute religion est susceptible de justifier l’élimination de ses opposants. Et toute religion l’a permis, sans exception.

Pourquoi alors cette violence serait-elle intrinsèque à la religion musulmane alors que pour les autres religions, l’on propose d’identifier les circonstances atténuantes liées aux contextes, aux personnes ?

« Not in my name »

Après l’assassinat d’un travailleur humanitaire britannique par Daech, un mouvement amorcé en Grande-Bretagne s’est répandu à d’autres pays européens. Celui proposait à tous les musulmans de s’afficher sur internet avec une pancarte « Not in my name », pour faire taire les amalgames entre islam et extrémisme religieux. Le mouvement « Not in my name » a même été salué par le Président américain Barack Obama à la tribune des Nations Unies.

Et ce n’est probablement pas illogique tant on peut observer, après des attentats à caractère djihadiste ou d’autres événements violents liés à l’extrémisme musulman, les appels des non musulmans à ce que les musulmans se désolidarisent officiellement de cette violence.

D’apparence, ces appels sont positifs : ils visent à proposer aux musulmans de prendre directement la parole pour rappeler le message fondamental de paix de leur religion. Ils sont pourtant très problématiques. Ils présupposent en effet une suspicion a priori de tous les musulmans, dont ils devraient se défendre en s’affichant publiquement. Cette demande de justification envoie implicitement un message de culpabilisation pour des actes dont « les musulmans » ne sont, évidemment, pas responsables.

Notons en outre que tant la Torah, la Bible que le Coran renferment des versets où la violence est présentée comme rendue nécessaire, voire légitime, dans le contexte où ils s’inscrivent.

Le Coran a pourtant ceci de particulier que sa révélation (en 610 après Jésus-Christ) au Prophète Mohamed va engendrer une période de trouble durant laquelle le Prophète revêtira tant les fonctions de chef spirituel que chef politique et militaire.  En 621, en effet, le clan dominant de La Mecque (dans l’actuelle Arabie saoudite), les Banu Umayya, sont mal à l’aise avec ces révélations et la constitution d’un groupe avec les premiers fidèles. Ils forcent Mohamed à s’exiler (Hijra, l’Hégire, l’Exil) dans un oasis qui deviendra la ville de Médine. Il y devient le chef d’un groupe, d’une communauté et devra organiser les défenses militaires notamment contre les mecquois. Ce moment de l’Exil devient un moment clé (moment social et politique) de l’histoire et de la tradition musulmane. Le calendrier musulman commence à cette date.

Plusieurs sourates coraniques y font référence, comme la sourate 4, verset 89 :

Ne prenez pas [les mécréants] pour alliés tant qu’ils n’auront pas émigré pour la cause de Dieu et s’ils se détournent, emparez-vous d’eux et tuez-les où que vous les trouviez […]

Les sources de l’islam

Le Coran est le livre sacré en islam. Il a été révélé par Dieu au Prophète Mohamed. Il n’est pourtant pas la seule source de la religion. Il y a également, notamment, les Hadith et la Sîra.

Les Hadith est le recueil des actes et des paroles de Mohamed et de ses compagnons. En dehors de quelques Hadiths sacrés, considérés comme les paroles de Dieu révélées et rapportées par Mohamed, les Hadiths sont les paroles et actions attribuées au Prophète et non une parole divine.

Avec les préceptes inscrits dans le Coran, les hadiths forment la Sunna. D’où la désignation de l’islam sunnite (en opposition à l’islam chiite, l’autre grand courant, mais minoritaire, de l’islam dans le monde).

La Sîra est une autre source doctrinale dans l’islam. Littéralement, « sîra » veut dire « biographie ». Il s’agit ici de la biographie du Prophète Mohamed.

Dans le foisonnement des courants, des traditions, des écoles juridiques et théologiques, certains courants musulmans considèrent les hadiths et la sîra comme des principes de gouvernance personnelle et collective. Ils proposent donc un mode de vie, un mode d’organisation sociale et un ordre juridique calqués sur la vie du Prophète.

Certaines écoles de pensée et courants de l’islam sunnite, comme le courant salafiste2 par exemple, proposent une vision néotraditionnelle de l’islam : ils considèrent la religion dans sa dimension totalisante (qui propose des solutions pour chaque facette de la vie) et insiste avant tout sur l’importance du retour à l’époque prophétique. Bien que la majeure partie de ces courants ne fasse pas l’apologie de la violence, certains d’entre eux vont sortir les sourates liées au djihad armé de leur contexte pour en proposer une signification théologique, donc intemporelle et universelle.

Tous les musulmans doivent faire le Djihad

Quand ce n’est pas le terme « d’islamiste » qui est utilisé, la qualification de « djihadiste », sans qu’aucun autre substantif ne lui soit accolé, est celle qui est la plus fréquemment utilisée pour désigner les personnes qui utilisent la technique terroriste au nom de l’islam. Cette qualification est problématique parce que le « Djihad » est avant tout un devoir religieux dans l’Islam. Le Djihad signifie en effet littéralement l’ « effort ». Il désigne une conduite spirituelle, un effort moral que doit accomplir tout musulman pour respecter les règles de sa religion.

Le djihad a pu prendre des accents violents dans le contexte guerrier qu’a connu le Prophète. Cette notion religieuse a alors été instrumentalisée par des groupes extrémistes islamistes pour justifier leur violence politique et le terrorisme. Elle a été reprise sans travail critique par les médias, pour petit à petit réduire le Djihad à cette seule dimension. La qualification de « djihadiste » n’est pas correcte et a pour conséquence de mélanger ce qui est de l’ordre de la foi et de l’effort personnel avec un ensemble d’actions politiques et criminelles.

Est-ce à dire que l’existence de ces courants permet de soutenir que les terroristes djihadistes poursuivent des motivations purement religieuses ?

En ce qui concerne les personnes qui ont commis des attentats à caractère djihadiste en Europe, toutes les enquêtes soulignent leur passé délinquant. Leur subjectivité est marquée par un trait fondamental : la haine de la société. Bien qu’originaires de familles de tradition musulmane, tous étaient « désislamisés ».

Comme le constate le juge d’instruction en charge des dossiers de terrorisme en France3 :

« Avant, les terroristes appartenaient à des réseaux très hiérarchisés et inscrivaient leur action  sur l’échiquier de la politique internationale. On était dans une forme de rationalité, certes criminelle et cynique, mais cohérente. Aujourd’hui, on voit des jeunes très faiblement islamisés se radicaliser en quelques mois à coups de vidéos intensives. Ils répètent ce qu’ils ont entendu sur internet ». Ces « nouveaux » terroristes djihadistes sont donc devenus des musulmans « born again », choisissant alors d’emprunter une voie d’interprétation la plus rigoriste, que des groupes organisés proposent fermement pour accompagner leur volte-face radicale. En effet, « les délinquants paumés sont hyperréceptifs à un discours qui leur propose de rompre avec leur vie passée de mécréants pour devenir de bons musulmans ».

Cette mutation sacralise leur haine.

La religion aussi comme réponse au videment de sens de nos sociétés modernes ?

Les terroristes sont-ils des fanatiques ou des nihilistes ? Des solitaires ou des sectaires ? Des personnes délirantes ou, au contraire, des personnes conséquentes ? Le philosophe français Marcel Gauchet tente de dépasser ces contradictions en proposant une synthèse qu’il place dans la vague de la « sortie de la religion », de « laïcisation » que nos sociétés hyperindividualistes expérimentent depuis les années 1960. Le philosophe rappelle que « nous avons beaucoup de mal, nous qui ne voyons plus dans la religion qu’une conviction personnelle, à comprendre qu’elle fut autre chose, une structuration d’ensemble de la société. Et nous avons beaucoup de mal à comprendre qu’à l’âge de la mondialisation, certains puissent souhaiter restaurer la forme religieuse en train de se dissoudre. » Ainsi, d’après Gauchet, l’islam rigoriste et fondamentaliste serait attirant « parce qu’il fonctionne comme un projet révolutionnaire collectif et une promesse de sécurité personnelle du point de vue psychique ».

Nous sommes donc moins confrontés à une extrémisation de l’islam qu’à une islamisation de l’extrémisme4. Comme le rappelle le sociologue Farhad Khosrokhavar5, il faut distinguer les causes sociales de l’extrémisation violente de son combustible religieux (ou doctrinales ou philosophiques) : c’est quand le sentiment de haine trouve un support idéologique qui le sacralise qu’on bascule dans l’extrémisme violent et dans le terrorisme. Ce n’est donc pas propre uniquement à l’islam, comme le montrent toutes les formes de violence politique6 qui se sont organisées à travers l’histoire et qui continuent de s’exprimer aujourd’hui.

  1. 1.Enquête « Noir, jaune, blues » commanditée par la Fondation « Ceci n’est pas une crise » et réalisée par Survey&Action
  2. 2.Étymologiquement, « salafisme » provient de salaf qui veut dire « prédécesseur » ou « ancêtre » et qui désigne les compagnons du Prophète. Le salafisme n’est pas un mouvement uni dans l’Islam mais regroupe plusieurs tendances et plusieurs groupements qui partagent l’objectif du retour à l’Islam des origines, la restauration de l’Islam des premiers siècles. Ils sont en faveur d’une application stricte de la loi islamique (la Sharia). Leur doctrine repose quasi-exclusivement sur le Coran et la Sunna (la vie du Prophète). Le salafisme n’est pas par définition violent.
  3. 3.Marc Trévidic (vice-président du tribunal de grande instance de Paris), Terroristes. Les 7 piliers de la déraison, JC Lattès, 2013
  4. 4.Cette formulation est inspirée de celle proposée par le politologue Olivier Roy.
  5. 5.Auteur de Radicalisation (éditions de la maison des sciences de l’homme, 2014)
  6. 6.Assassinats, guérillas locales, rébellion armée, résistance, terrorisme politique, état de terreur, répression étatique, guerre