Terrorisme
en questions ?

Avant, on avait la paix !

Histoire du terrorisme

La date du 11 septembre 2001 et l’effondrement des deux tours du World Trade Center sont à jamais gravés dans nos mémoires. Nous avons vu les images tourner en boucle sur toutes les chaines. Et nous nous souvenons probablement tou(te)s de l’endroit où nous étions lorsque nous avons appris la nouvelle. L’horreur de l’attaque et son caractère spectaculaire nous font cependant trop souvent considérer cet événement comme l’an 0 du terrorisme, occultant du même coup la longue histoire de ce mode d’action politique violent et son caractère protéiforme qui n’appartient à aucune couleur politique, aucun drapeau, aucune religion.

Tirer les leçons du passé

Mettre l’action politique violente en perspective, afin de questionner l’utilisation qui en est faite aujourd’hui et de proposer des politiques conscientes du phénomène.

Malgré ce qu’on pourrait naïvement penser en constatant le discours politique et médiatique depuis les attentats du 11 septembre, le recours au terrorisme comme mode d’action  politique violent n’est pas nouveau. Les attentats et les attaques suicides avaient déjà lieu dans l’Antiquité.

L’historique du terrorisme, en tant que mode d’action politique violent, que nous nous proposons de faire consiste « simplement » à mettre l’action politique violente en perspective, afin de questionner l’utilisation qui en est faite aujourd’hui et de proposer des politiques conscientes du phénomène. Une démarche qui se distancie d’une approche idéologique et se veut autant que possible dépourvu de jugement sur les causes défendues par ces différents mouvements.

Faire l’histoire du terrorisme permet de mettre en lumière certaines conditions transversales d’apparition. Il semble ainsi que son apparition soit toujours corrélée avec des périodes de crises, politiques ou économiques. C’est bien souvent comme ultime moyen que l’on se tourne vers cette forme d’engagement. L’injustice perçue ou vécue est accrue dans les périodes de crise et peut devenir insoutenable. Elle justifie ainsi aux yeux de l’intéressé le recours à de telles méthodes.

L’histoire du terrorisme nous apprend également qu’il n’a pas de couleur politique et que ce moyen d’action, cette forme d’engagement a été mis au service des causes les plus diverses, parfois diamétralement opposées.

Enfin, plusieurs méthodes d’actions peuvent se retrouver et s’opposer à l’intérieur d’un même mouvement politique.

Les ancêtres du terrorisme moderne

En Israël, au 1er siècle après JC déjà, les Zélotes, une faction politico-religieuse, rejetaient l’autorité de l’occupant romain. Certains d’entre eux assassinaient des Romains et de Juifs accusés de collaboration.

De la fin du 11e siècle au milieu du 12e siècle existait en Iran un groupe chiite, appelés Nizarites, qui ont exécuté nombre de Croisés et de Turcs seldjoukides sunnites. Ces « haschaschins » (qui ont légué à la langue française, le vocable « assassin ») procédaient au meurtre sélectif de hauts personnages du régime ennemi par attentats-suicides perpétrés en public. Pour certains observateurs, leur utilisation planifiée et systématique de la violence politique en ferait les premiers terroristes.

 Le terrorisme d’Etat et la naissance du terrorisme moderne

La Révolution française est généralement considérée comme la date de naissance du terrorisme moderne

En 1798, la cinquième édition du Dictionnaire de l’Académie française intègre le mot « terrorisme »1. La terreur fait ainsi son apparition dans la langue française, après avoir été expérimentée comme outil de gouvernement sous Robespierre. La Terreur est justifiée et trouve sa légitimité en tant que moyen d’assurer la défense de la République contre les ennemis de l’extérieur, et de l’intérieur, et d’assurer la sécurité et les principes de la souveraineté du peuple. Une justification qui perdure encore aujourd’hui.

Un XXe siècle marqué par le terrorisme

  •  La vague anarchiste

La méthode privilégiée durant cette période était l’assassinat ciblé de personnalités officielles ou de représentants de la bourgeoisie

L’histoire contemporaine restera marquée par des résurgences de la violence politique et d’événements terroristes plus ou moins meurtriers.  En 1881,  l’assassinat du  Tsar Alexandre II amorce ce que certains appellent la « vague anarchiste » qui se répandit dans toute l’Europe au départ de la Russie. La méthode privilégiée durant cette période était l’assassinat ciblé de personnalités officielles ou de représentants de la bourgeoisie. Selon les anarchistes à la base de ces faits d’armes, ces attaques se justifiaient par la théorie marxiste sur laquelle ils basaient leur action, qui vise à renverser la bourgeoisie au profit du prolétariat.

L’une des caractéristiques de la « vague anarchiste » est que ses représentants ne s’attaquaient qu’aux représentants du système qu’ils dénonçaient, épargnant autant que possible les victimes civiles. Certains événements isolés doivent tout de même être cités, comme l’attentat du café Terminus à Paris par Emile Henry, le 12 février 1894. Cet événement, par son caractère non ciblé provoquera d’ailleurs une rupture au sein du mouvement, une partie des anarchistes rejetant les attaques non discriminées.

Au début du XXe siècle, un autre mouvement a également fait parler de lui, en Grande-Bretagne cette fois-ci. Celui des suffragettes, du nom de ces femmes qui ont lutté pendant des années pour l’obtention du droit de vote, certaines n’hésitant pas à recourir à des moyens d’action plus violents qui pourraient entrer dans la catégorie des actes terroristes : bombes déposées dans des lieux publics ou au domicile de personnalités opposées au vote des femmes, menaces à l’encontre de représentants politiques, … La presse de l’époque n’hésitait pas à les décrire dans les mêmes termes que ceux utilisés contre les combattants de l’IRA (l’armée de libération de l’Irlande du Nord), organisation qui figure encore aujourd’hui sur les listes européennes des organisations terroristes2.

  •  La vague de décolonisation

Contrairement aux anarchistes, ces mouvements ont eu recours à des actions moins sélectives et ne s’embarrassaient pas toujours de discriminer la population civile

Débutant dans les années 1920 et se prolongeant durant la deuxième partie du XXe siècle, les mouvements de libération nationale dans les pays du Sud ont eux aussi eu recours à des moyens d’action terroristes. Suite au Traité de Versailles, qui mettait fin à la première Guerre mondiale, le principe d’autodétermination des peuples a été appliqué par les vainqueurs pour démanteler les empires des Etats vaincus. Cependant, seules les parties européennes de ces empires ont eu accès aux indépendances ; les autres ont été placées sous mandat de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU). Des mandats confiés aux puissances qui ont gagné la guerre. Le droit à l’autodétermination a été kidnappé. Dans certains de ces pays, des mouvements se sont alors formés qui  ont eu recours à des méthodes assimilables à du terrorisme pour lutter contre l’Etat colonisateur.

Un cas emblématique est celui de la guerre d’Algérie dans les années 1950-1960 avec le FLN (Front de libération nationale) et sa branche armée l’ALN (Armée de libération nationale).

Contrairement aux anarchistes, ces mouvements ont eu recours à des actions moins sélectives et ne s’embarrassaient pas toujours de discriminer la population civile. Désormais, les bombes explosent dans les cafés, les théâtres ou les trains, faisant beaucoup de victimes, parmi elles des femmes et des enfants, tant dans les colonies que dans les Métropoles. Ces attentats visaient des représentants de l’ordre colonial en s’attaquant par exemple aux fonctionnaires ou à leurs familles. Ces groupes menaient souvent également des actions « coup de poing » de guerilla contre les troupes occupantes.

Le déclin de cette forme de violence politique est, entre autres facteurs, à chercher dans la proposition de voies politiques pour exprimer et donner corps aux revendications des mouvements anticoloniaux.

Une méthode aussi au service du maintien de la domination coloniale.

Durant les années de plomb de la guerre pour l’indépendance en Algérie se constitue également l’OAS (Organisation de l’armée secrète) qui défendra un agenda diamétralement opposé à celui du FLN en s’opposant violemment à l’indépendance. Se déclarant « prêts à mourir » pour leur cause, ses membres organisent également des attentats (dont un contre De Gaulle) et posent des bombes.

  • Au service des causes les plus diverses

L’histoire de la création d’Israël est également profondément marquée par le terrorisme. Certains mouvements sionistes tels que l’Irgoun n’ont pas hésité à s’attaquer directement aux symboles de l’autorité britannique en Palestine pour forcer la puissance mandataire à reconnaître l’Etat d’Israël, mais également aux populations arabes pour les pousser à quitter leurs terres. En juillet 1946, l’attentat contre l’Hotel King David qui abrite le siège de l’administration britannique en Palestine par l’Irgoun en est sans doute l’un des épisodes les plus sanglants. Le chef de l’Irgoun a l’époque n’était autre que Menahen Begin, futur premier Ministre d’Israël.

Plus récent, l’attentat dans le métro de Tokyo en 1995 commis par la secte Aum d’inspiration hindouiste et bouddhiste a aussi marqué les esprits. Cette attaque au gaz sarin a provoqué la mort de 13 personnes et en a blessé des milliers d’autres. La même année, l’attentat d’Oklahoma city contre un batiment public tue 168 personnes. L’attaque est revendiquée par le mouvement « American Christian Identity ».

De nombreux autres exemples ont jalonné l’histoire contemporaine et ceux-ci sont de tous horizons et poursuivent des objectifs politiques différents

De nombreux autres exemples ont jalonné l’histoire contemporaine et ceux-ci sont de tous horizons et poursuivent des objectifs politiques différents : les militants de la RAF (fraction armée rouge) ou des mouvements d’extrême-droite dans l’Allemagne de la fin du XXe siècle, les Brigades rouges en Italie, les cellules communistes combattantes en Belgique, les indépendantistes basques, les mouvements d’extrême-droite italiens dans les années 1960-70, les défenseurs de la cause animale au sein de l’ALF … Certains de ces exemples posent encore aujourd’hui question sur l’étiquette terroriste qu’on leur appose. D’autres s’y trouvent définitivement rangés ou en sont exclus à posteriori dû à l’issue (dé)favorable que l’histoire a bien voulu donner à leur combat.

Les évolutions du terrorisme et des nouvelles technologies sont profondément liées

Al-qaïda et Daesh n’ont donc pas inventé grand-chose. Depuis l’invention de la télévision et des médias de masse, ils bénéficient cependant de supports technologiques considérablement supérieurs (à ce propos, voir également la fiche « Je sais, je l’ai vu à la télé »). Les évolutions du terrorisme et des nouvelles technologies sont profondément liées, le premier s’adaptant parfaitement aux deuxièmes en mettant à profit les nouvelles avancées. C’est probablement la raison pour laquelle « on » marque souvent le 11 septembre 2001 comme l’an 0 du terrorisme, balayant l’histoire du terrorisme, effaçant son caractère multiforme et hétérogène et empêchant d’apprendre ce que son histoire nous enseigne.

L’histoire du terrorisme ne semble pas vouloir s’arrêter là. D’autres personnes ou mouvements continuent de grossir la liste de ceux ayant recours à ces méthodes, et de nouvelles formes semblent se développer, telles que le cyber-terrorisme.

 Le terrorisme : une mauvaise solution à un problème

Le terrorisme est donc un moyen d’action violent, une forme d’engagement politique qui remonte à l’Antiquité.

Il advient de connaître et de comprendre son histoire car celle-ci peut nous apporter de nombreux enseignements sur la manière de lutter contre des groupes tels que Daesh aujourd’hui.

En effet, la plupart de ces mouvements violents ne se sont pas éteints suite à l’intensité de la répression étatique ou grâce au fait que l’Etat leur a opposé une violence à la hauteur de la leur (ce qui revient bien souvent à approfondir les causes du phénomène que l’Etat entend combattre). Non, ils se sont éteints par l’anéantissement des causes de leur apparition et l’ouverture de voies politiques, diplomatiques et non violentes dans lesquelles ils ont pu se faire entendre.

  1. 1.FERRAGU Gilles, Histoire du terrorisme, Perrin, 2014
  2. 2.Une histoire des femmes, Hors-série histoire du Courrier international, avril-mai-juin 2016