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Terrorisme et sécuritarisme

La lutte contre le terrorisme à l’intérieur des pays européens et américains présente deux tendances lourdes : un élargissement continu des prérogatives du pouvoir exécutif au détriment des pouvoirs judiciaires et législatifs ainsi qu’une érosion continue des droits de l’Homme au nom de la recherche de la sécurité. Deux tendances qui s’attaquent à ce qui fonde et structure notre État de droit et notre démocratie.

La lutte contre le terrorisme… et contre les droits de l’Homme

La lutte contre le terrorisme ne peut pas porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales et au droit international humanitaire. Ce n’est pas en bafouant les droits et libertés que les terroristes cherchent justement à détruire que nous lutterons efficacement contre le terrorisme. Les principes de l’État de droit doivent primer dans les cas de terrorisme .

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le ministère belge des affaires étrangères

 

Ainsi, une des priorités que doivent se fixer les gouvernements dans la « lutte contre le terrorisme » est le respect des droits de l’Homme et le respect de l’État de droit. Particulièrement dans le cas du terrorisme djihadiste parce que celui-ci viserait, justement, la destruction de nos libertés et droits fondamentaux.

Les gouvernements ne respectent pas les droits de l’Homme et l’État de droit dans leur lutte contre le terrorisme.

Or, les gouvernements respectent-ils les droits de l’Homme, les libertés fondamentales et l’État de droit dans les politiques qu’ils mettent en place pour « lutter contre le terrorisme » ? Force est de constater que non.

Qu’est-ce qu’un État de droit ?

C’est un État dans lequel l’action du pouvoir exécutif est soumise au respect de la loi. On peut l’opposer, par exemple, à l’État policier où le pouvoir s’exerce de manière arbitraire. Plus largement, l’État de droit désigne un système institutionnel (l’ensemble des institutions et des pouvoirs de l’État) dans lequel la puissance publique respecte le droit.

L’on peut identifier deux caractéristiques nécessaires (mais non suffisantes) pour qu’un pays puisse être qualifié d’État de droit :

  • la séparation des pouvoirs prévoit que les trois grandes fonctions de l’État (le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire) soient chacune exercée par un organe différent. Dans nos démocraties modernes, le pouvoir législatif (le pouvoir de « faire les lois ») est dévolu aux assemblées représentatives (en Belgique : la Chambre et le Sénat. Le gouvernement peut également proposer des lois). Le pouvoir exécutif (qui « exécute les lois ») est détenu par le gouvernement. Le pouvoir judiciaire, assuré par les différents cours et tribunaux, règle les litiges et les conflits. Pour qu’une séparation des pouvoirs soit effective et réelle, un contrôle est exercé par chacun des trois pouvoirs vis-à-vis des autres. C’est ce contrôle qui est censé préserver les citoyens des atteintes à ses droits fondamentaux.
  • Le respect de la hiérarchie des normes est également l’une des plus importantes garanties de l’État de droit. Elle prévoit que les lois qui sont édictées ne sont valables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes de droit supérieures. La hiérarchie des normes en vigueur en Belgique est la suivante : au sommet, on retrouve les normes de droit international qui bénéficient donc d’une autorité supérieure à celle des normes internes à la Belgique lorsqu’elles sont imposées par des conventions ou des traités internationaux. On y trouve donc les différentes Conventions et Pactes qui garantissent les droits fondamentaux de chaque individu (le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux, la Convention européenne des droits de l’Homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). On retrouve ensuite, au deuxième étage de la hiérarchie des normes, la Constitution belge. Elle contient les règles qui déterminent les droits et libertés fondamentaux des citoyens, la structure de l’État belge et le fonctionnement des différents pouvoirs.
  • Dans notre État de droit, toutes les lois et règlements doivent donc respecter les droits de l’Homme. Si ce n’est plus le cas, l’État tend vers l’arbitraire.

Dans le cadre du terrorisme djihadiste, les acteurs politiques se sont en effet systématiquement attelés à durcir les législations sécuritaires existantes et à créer de nouvelles dispositions « efficaces » pour garantir la sécurité de l’individu.

Le Premier ministre Charles Michel l’a annoncé quelques mois après les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 : « de plus en plus, on va devoir être dans une société où il faudra accepter moins de libertés pour mieux lutter contre les terroristes »2. Pour répondre aux menaces du terrorisme djihadiste, le discours public oppose bien souvent liberté et sécurité : si l’on veut vivre en sécurité, il faut accepter de voir sa liberté limitée.

Pour répondre aux menaces du terrorisme, on oppose bien souvent liberté et sécurité : si l’on veut vivre en sécurité, il faut accepter de voir sa liberté limitée.

C’est tout un système de pratiques d’exception qui s’est mis en place autorisant une extension de la surveillance et du fichage et une limitation des droits fondamentaux : déploiement de l’armée en rue, multiplication de l’enregistrement des données personnelles, fichage des communications, réduction des droits de la défense, extension des régimes d’exception. Les attentats à caractère djihadiste et leur spectacularisation ont laissé les citoyens désemparés, conduisant ainsi vers une inhibition de leur attention et de leur vigilance par rapport aux attaques que ces mesures exceptionnelles, finalement très peu « efficaces », exercent sur la démocratie et sur l’État de droit.

C’est tout un système de pratiques d’exception qui s’est mis en place autorisant une extension de la surveillance et du fichage et une limitation des droits fondamentaux.

Restreindre les droits de l’Homme ? Trois principes de base : temporalité, nécessité et proportionnalité

Le  droit  international  permet de  déroger  au  régime  normal  de protection  des  droits  humains  en  proclamant  un  état  d’exception  temporaire.  Ainsi, le Pacte sur les droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme autorisent les États, de manière temporaire, à « déroger à » certaines  garanties en matière de droits humains, dans des circonstances bien définies et seulement dans la «stricte mesure où la situation l’exige »3. La Cour européenne indique qu’une mesure dérogatoire ne peut être considérée comme nécessaire et légitime que si l’impossibilité de recourir à d’autres mesures ayant un impact moindre pour les droits humains est clairement établie. Autrement dit, c’est  seulement si le régime juridique de droit commun ne peut répondre efficacement au besoin de rétablir l’ordre public que les mesures dérogatoires pourraient être considérées comme proportionnelles. Le degré de restriction des droits et l’étendue de toute mesure de dérogation, ainsi que de sa durée, doivent « être raisonnables par rapport à ce qui est véritablement nécessaire pour faire face à une situation exceptionnelle menaçant la vie de la nation ». Le Comité des droits de l’homme a déclaré que les États parties ne peuvent « en aucune circonstance justifier des actes attentatoires au droit humanitaire ou aux normes impératives du droit international ou l’inobservation de principes fondamentaux garantissant un procès équitable comme la présomption d’innocence ».

Les différents attentats à caractère djihadiste sont présentés comme une menace nouvelle et particulièrement grave contre laquelle il convient de poser des politiques du même ordre.  Pourtant, si les personnes qui commettent ces attentats sont effectivement différentes et que leurs actes sont bien plus médiatisés qu’avant, la construction et la matérialisation des attentats terroristes s’inscrivent dans des registres sécuritaires ordinaires : criminalité organisée, grand banditisme, délinquance, etc. La lutte contre le terrorisme devrait logiquement renvoyer à des pratiques de sécurité appliquées depuis longtemps dans nos pays.

Pourtant, on constate deux tendances lourdes suivies par les gouvernements dans leur lutte contre le terrorisme : une séparation de moins en moins marquée des pouvoirs soulignant l’élargissement progressif du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir judiciaire et législatif ainsi que des limitations continues de plusieurs droits fondamentaux au nom de la protection des populations.

Dans la lutte contre le terrorisme, deux tendances lourdes : extension du pouvoir exécutif et limitation continue des droits fondamentaux.

La question est donc de savoir si ces mesures qui sapent les fondements de notre démocratie et de notre État de droit sont efficaces pour garantir la sécurité des populations. Nous répondons à cette question dans la fiche « Surveillez, j’ai rien à me reprocher ».

Comment est-on « en sécurité » ?

Qu’est-ce que la sécurité ? Comment envisageons-nous de garantir ou de préserver notre sécurité ? Difficile à dire. Il y a probablement autant de visions de la sécurité que de personnes qui tentent de lui trouver une définition. Or, définir la sécurité est politique et stratégique parce que cette définition revient à identifier qui l’on est en identifiant qui (ou quoi) nous menace.

Il existe plusieurs approches théoriques, plusieurs objets de référence (la communauté, l’État, l’individu, la famille, etc). Implicitement, dès que le terme « sécurité » est soulevé dans le débat public, on pense aux armes, à la surveillance, au fichage. Au niveau des États, assurer la sécurité rime souvent avec le développement de l’appareil sécuritaire répressif. Assurer la sécurité rime alors avec la prémunition et la répression d’actes de violence. Assurer la sécurité rime donc avec une action contre la violence au moment où elle s’exprime. Une action contre les conséquences d’un phénomène.

Une autre approche de la sécurité propose de questionner les causes de la violence. De les expliquer pour mieux les surmonter, en évitant autant que possible le développement exponentiel de l’appareil sécuritaire qui oublie ces causes pour ne travailler que sur les conséquences de la violence. Cette approche s’appelle la « sécurité humaine ».  Son objet de référence est l’individu et elle a une portée universelle. La sécurité humaine va de pair avec le développement humain. Elle vise en effet à prôner l’expansion des capacités et des options de toute personne, ainsi que le retrait de tout obstacle à ce développement, tel que la pauvreté, les inégalités, l’exclusion sociale ou la discrimination. La recherche de la sécurité doit donc avant tout passer par le développement et non par les armes : les individus doivent pouvoir faire des choix, doivent pouvoir travailler à ces choix sans risques, et doivent pouvoir avoir des perspectives de futur.

La sécurité humaine vise donc aussi la protection contre tout événement brutal susceptible de perturber la vie quotidienne ou de porter préjudice à son organisation dans les foyers, sur le lieu de travail ou au sein de la communauté. Ce type de menace existe indépendamment du niveau de revenu et de développement d’un pays.

Bien sûr, travailler à la sécurité humaine est un travail de longue haleine. Mais c’est le seul à même d’empêcher que des personnes versent dans la violence aveugle.

 

  1. 1.Terrorisme et Droits de l’homme, site internet du Ministère des affaires étrangères de la Belgique : http://diplomatie.belgium.be/fr/politique/themes_politiques/paix_et_securite/terrorisme/terrorisme_et_droits_de_lhomme
  2. 2.http://www.rtl.be/info/belgique/politique/charles-michel-de-plus-en-plus-on-va-devoir-etre-dans-une-societe-ou-il-faudra-accepter-moins-de-libertes-pour-mieux-lutter-contre-les-terroristes-748206.aspx
  3. 3.Article 4.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et article 15.1 de la Convention européenne des droits de l’homme