Terrorisme
en questions ?

Je sais, je l’ai vu à la télé

Terrorisme et média une alliance instinctive et efficace

« Le terroriste ne veut pas que beaucoup de gens meurent. Il veut que beaucoup de gens sachent ». Le terrorisme, par les méthodes utilisées, cherchent l’attention des médias et s’appuient sur eux pour amplifier leur message. Ce faisant, les médias s’assurent un audimat large. Pourtant, le traitement médiatique du phénomène terroriste, placé davantage sur le plan de l’émotion que de l’analyse rationnelle, ne permet pas de comprendre le phénomène dans sa globalité et sa complexité mais va, au contraire, proposer une compréhension du monde sujette à la peur et à la volonté de confrontation.

Nous entendons par « média », tout moyen de diffusion, via un dispositif technique (la radio, la télévision, internet, la presse), permettant la communication. Les médias de masse définissent un sous-ensemble des médias qui ont acquis une diffusion à grande échelle pour répondre rapidement à une demande d’information d’un public vaste.

Le terroriste ne veut pas que beaucoup de gens meurent. Il veut que beaucoup de gens sachent

RAYMOND ARON

Le terrorisme est un moyen de communication

Un acte terroriste a pour objectif de contraindre une collectivité « à faire ou à ne pas faire quelque chose ». L’acte terroriste cherche donc à faire passer un message, même symbolique. Dans ce sens, le terrorisme doit être vu comme un moyen stratégique et brutal, pour un groupe particulier, de communiquer. Ici, les victimes directes de l’acte terroriste servent à atteindre la victime secondaire mais principale : la collectivité (et son « opinion publique »).

L’objectif de mobiliser l’opinion publique est crucial dans ce combat où il s’agit moins de faire mourir que de faire savoir. La victime moderne de l’attentat est donc choisie moins pour son importance politique qu’en raison de la valeur symbolique de son sacrifice : un fonctionnaire représente l’État occupant, un bâtiment figure l’impérialisme économique, un journaliste symbolise la liberté d’expression, le citoyen lambda incarne l’ensemble d’une société.

Les médias servent les terroristes… qui s’en servent aussi

Les médias vont donc servir aux terroristes de chambre d’échos de leurs revendications. Le terroriste fournit l’image, les médias fournissent l’impact. Ils assurent une diffusion du message bien plus forte que le poids politique du groupe qui le porte. L’acte terroriste recherche avant tout un « impact psychologique, hors de proportion avec les effets physiques produits et les moyens utilisés »1. Les entreprises médiatiques profitent de cette relation en s’appropriant des événements qui leur assurent une audience large. Les terroristes, par les moyens utilisés, capitalisent sur cette attraction de l’audimat.

Le terroriste fournit l’image, les médias fournissent l’impact.

Les médias de masse, depuis l’invention de la télévision et la mise en orbite du premier satellite américain en 1968, ont permis une amplification internationale du message diffusé. Le monde entier est alors spectateur de l’acte terroriste et se sent concerné par ces événements spectaculaires.

La recherche de l’attention médiatique est telle que certaines actions à caractère terroriste vont être directement organisées dans des endroits où la présence médiatique internationale est assurée. Ce sera le cas, par exemple, en septembre 1972 durant les jeux olympiques de Munich où des membres de l’équipe d’Israël sont pris en otage dans leur chambre d’hôtel par un groupe palestinien appelé « septembre noir ». Le terrorisme est alors converti en véritable arme de communication qui fait émerger la question palestinienne au cœur de l’opinion publique mondiale. 800 millions de téléspectateurs suivent alors, en direct, l’évolution de la prise d’otage.

Médias et terrorisme : l’émotion contre la raison

Les attaques du 11 septembre 2001 amorcent une nouvelle vague terroriste. Celle-ci est appréhendée et présentée par le discours médiatique et politique comme une confrontation avec la « civilisation occidentale ». Une confrontation idéologique et religieuse, donc. Le discours politique et médiatique va de ce fait sortir le terrorisme du domaine politique pour le placer dans le domaine de la morale : ce sont nos valeurs et notre « identité » qui sont attaquées par les défenseurs d’une idéologie précise et bien définie.

Certains événements engendrent un traitement médiatique placé davantage sur le plan de l’émotion que de l’analyse rationnelle.

La mission des journalistes est d’informer sur des événements, de présenter des faits sociaux, économiques ou politiques. Les journalistes font alors « exister » ces faits sur la scène publique. Certains événements, de par leur nature, engendrent un traitement médiatique placé davantage sur le plan de l’émotion que de l’analyse rationnelle. C’est le cas des attaques terroristes qui ont lieu sur nos territoires : le traitement journalistique est alors caractérisé par deux émotions : la peur et la colère.

Le 11 septembre 2001 : les médias au service de la propagande ?

Plusieurs études se sont penchées sur le traitement médiatique des attaques du 11 septembre 2001. Elles soulignent que le traitement « émotif » (colère et peur, surtout) suscite angoisse et volonté de confrontation, conduisant à des interprétations relevant du registre du « choc des civilisations »2. L’implication américaine au Proche et au Moyen­-Orient sera par exemple très peu abordée dans les médias américains alors qu’elle a été une des justifications d’Al qaïda pour les attaques du World Trade Center. Au contraire, on constatera un appui quasi unanime des journalistes américains au gouvernement de Georges W. Bush dans sa « guerre contre la terreur ». Le peu de personnes qui critiqueront la réaction gouvernementale seront censurés dans la presse. Les journalistes se laisseront submerger par une chape de plomb patriotique qui souffrira très peu de remise en question jusqu’à la guerre en Irak de 2003.

Informer est une nécessité.

Une information de qualité est indispensable pour une population. Après un attentat, celle-ci est essentielle pour reconstruire un univers sécurisant et maîtrisable. L’information réduit l’état de stress et la détresse des populations affectées.

Toutefois, le caractère exceptionnel et dramatique des actes à caractère terroriste entraîne toujours une diffusion d’informations en continu. Les grilles de programmes sont bouleversées pour informer en temps réel des événements et de leurs conséquences. Les actualités se succèdent rapidement. A la radio, à la télévision ou dans la presse écrite, les éditions spéciales s’enchaînent. Or, malgré cette nécessité de l’information, les pièges sont nombreux pour les médias : tension générée par l’urgence, difficulté à valider des informations en évolution constante, danger de relayer des rumeurs, diffusion de renseignements pouvant mettre des personnes en péril, dramatisation excessive, surenchère d’images-choc, course à l’audience, etc.

Avec les progrès technologiques et de communication, le journaliste découvre bien souvent les images en même temps que les téléspectateurs et n’en sait pas plus qu’eux sur la situation. La médiatisation n’offre alors ni recul, ni grille de lecture.

Émotion et propagande

Cette réalité est dangereuse. Plus que jamais, la frontière entre le journalisme et la propagande devient très ténue (voir encadré). Cette fragilité se constatera à chaque attentat survenu sur le sol européen ou américain : les mass media diffusent instantanément une émotion partagée dans le monde entier. Au contraire, le principe du « mort kilométrique » conduit les entreprises médiatiques à négliger les attentats presque quotidiens qui ont lieu dans d’autres parties du monde.

Au 21ième siècle, ce traitement médiatique à géométrie variable a contribué largement à nourrir la stigmatisation et l’hostilité à l’égard des populations musulmanes.

Comme le soulignera notamment l’étude du sociologue Christopher Bail.3 La nature du traitement médiatique est susceptible d’influer gravement sur l’opinion publique et de provoquer des distorsions dans la représentation qu’elle peut avoir de l’événement, allant, comme cela semble être le cas du terrorisme, « jusqu’à désorganiser tout ou partie du comportement collectif ».4

L’hyperconsommation d’une information quasi unidimensionnelle n’accroit pas la connaissance que l’opinion publique a des faits. Mais à force d’être répétée, cette information forge la manière dont elle perçoit la réalité.5

Faire de la propagande, c’est participer à la construction de messages partisans qui incitent à prendre position. Le citoyen se voit réduit à un seul choix : « soit tu es avec nous, soit tu es contre nous ». Il fournit un sens à la réalité, une vérité construite, et guide les comportements. Les médias créent ainsi un « modèle social », une représentation que tout le groupe social va s’approprier et à laquelle il doit adhérer.

L’hyperconsommation d’une information quasi unidimensionnelle n’accroit pas la connaissance que l’opinion publique a des faits. Mais à force d’être répétée, cette information forge la manière dont elle perçoit la réalité.

PIERRE MANNONI

Les médias parlent-ils trop et mal du terrorisme ?

Le besoin de sécurité pousse les auditeurs à chercher de l’information mais paradoxalement, celle-ci entretient leur angoisse.

La surmédiatisation des actes terroristes commis sur nos territoires, couplée avec un traitement spectaculaire et « émotionnel », va donc entraîner une perception de la menace dans l’opinion publique disproportionnée par rapport à sa réalité. Si l’on demande à tout citoyen s’il a peur d’abord d’une attaque terroriste ou d’un accident de la route, c’est bien le terrorisme qui l’effrayera avant l’insécurité routière alors que cette dernière fait près de 1000 fois plus de victimes directes.

Mise en scène de l’insécurité, réduction de la liberté

Avec cette surmédiatisation et le climat anxiogène qu’elle induit, le citoyen est prêt à accepter une restriction de ses libertés fondamentales alors même que celle-ci est contreproductive ou disproportionnée par rapport à l’effectivité de la menace.

Mais, en plus, ce traitement anxiogène et parcellaire du terrorisme va empêcher de comprendre ce phénomène dans sa globalité. En effet, chaque événement terroriste est présenté par les médias comme une fracture dans l’état du monde. Les médias événementialisent l’attentat terroriste : il y a un état de calme avant et il faut le retrouver après. L’acte terroriste est alors présenté comme un acte irrationnel, fou, que rien ne permet d’anticiper. Or, le terrorisme se développe sur un terreau particulier. A défaut de le prévoir, on peut l’expliquer. On doit l’expliquer si l’on veut proposer une compréhension la plus complète possible et ainsi débattre sur les moyens efficaces de le surmonter.

Pourquoi les médias traitent-ils essentiellement des événements qui nous touchent directement ? On parle du principe journalistique du mort kilométrique. Celui-ci souligne que les médias accordent prioritairement de l’importance aux victimes d’un drame en fonction de la distance qui les sépare du téléspectateur, auditeur ou lecteur. Inconsciemment, on prêterait donc plus de sentiments proprement humains aux personnes proches de nous. Ce faisant, les médias proposent une lecture partielle et arbitraire du phénomène terroriste, sur base de sentiments humains et d’une logique économique de conquête de l’audimat.

  1. 1.Aron (Raymond), Guerre et paix entre les nations
  2. 2.Le « choc des civilisations » défend une description géopolitique du monde fondée non plus sur des clivages idéologiques « politiques », mais sur des oppositions culturelles, appelées « civilisations », dans lesquelles le religieux tient une place centrale. Ces oppositions sont présentées le plus souvent comme conflictuelles. Pour la CNAPD, ce type de théorie ressort de la « prophétie auto-réalisatrice », une prophétie qui modifie des comportements de telle sorte qu’ils font advenir ce que la prophétie annonce. Une prophétie qui ne repose donc à la base sur rien de concret.
  3. 3.Bail (Ch.), “The Fringe Effect: Civil Society Organizations and the Evolution of Media Discourse about Islam since the September 11th Attacks”, in American sociological review, 77(6), 2012, pp 855–879
  4. 4.Mannoni (P.), « Terrorisme et Mass Médias », in Topique. Revue freudienne, n83 « représentations du terrorisme », 2003/2
  5. 5.Pierre Mannoni, Op. cit