Terrorisme
en questions ?

Un terroriste, c’est un terroriste !

Tentative de définition

Le terrorisme est un concept mouvant. Nous l’entendons utilisé à toutes les sauces et, finalement, nous pensons savoir ce que c’est. Pourtant, les définitions sont multiples, loin d’être neutres et participent à créer une certaine vision du monde et des rapports de force qui le « façonnent ». De plus, définir le terrorisme est un exercice hasardeux et les motivations qui sous-tendent les définitions doivent être analysées.

Plusieurs définitions pour un même mot/maux ?

  • Nations Unies

Tout acte (…)1 commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, qui a pour objet, par sa nature ou son contexte, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire.

Cette définition est celle proposée par le groupe de personnalités de haut niveau qui a rédigé le rapport « Un monde plus sûr : notre affaire à tous »2. Dans l’attente d’une définition unanime et officielle, il s’agit de la définition sur laquelle les Nations Unies s’appuient dans leur travail. Le rapport précise que la définition devrait réaffirmer les conventions précédemment établies par les membres de l’ONU concernant le terrorisme et rappeler que « l’usage de la force par les Etats contre des civils est réglementé par les Conventions de Genève et d’autres instruments et que, s’il atteint un certain degré, il constitue un crime de guerre ou un crime contre l’humanité3 ».

Terrorisme et droit international humanitaire (DIH) :

Dans cette définition du terrorisme, les Nations Unies ne font pas de distinction entre les actes commis par des Etats ou des groupes et individus non étatiques, ni entre les situations de conflits armés ou de paix. Pourtant, les Etats, dans leur « guerre contre le terrorisme », sont de plus en plus confrontés à des contextes de guerres dites « asymétriques » où ils affrontent, non plus d’autres Etats, mais des acteurs non-étatiques dont l’une des méthodes de combat consiste à se fondre dans la population. Ce contexte justifierait des violations du droit international humanitaire, en rendant impossible le respect des principes élémentaires de discrimination et de proportionnalité. Les Etats n’auraient ainsi qu’un seul choix : respecter le droit international humanitaire (DIH) et se laisser vaincre, ou décider de le violer pour espérer sortir victorieux du conflit. Il s’agit bien entendu d’une interprétation pour le moins lacunaire, reposant sur le principe de bac-à-sable « c’est pas moi qui ait commencé », au mieux teintée d’idéologique. Elle pose cependant de sérieuses questions et est source d’inquiétude. En effet, une telle interprétation tend à vider petit à petit le DIH de son sens en le rendant inapplicable.

Le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau rappelle également que :

Le terrorisme se nourrit du désespoir, des humiliations, de la pauvreté, de l’oppression politique, de l’extrémisme et des violations des droits de l’homme ; il trouve un terreau dans les contextes de conflit régional et d’occupation étrangère ; et il fait son lit de l’incapacité des Etats à maintenir l’ordre public4.

 

Depuis de nombreuses années, les Nations Unies tentent d’établir un cadre commun sur le terrorisme. De nombreux traités sont déjà entrés en vigueur tels que la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999 (entrée en vigueur en 2002) et celle pour la répression des actes de terrorisme nucléaire de 2005 (entrée en vigueur en 2007). Une Stratégie antiterroriste mondiale existe également depuis 2006. Cependant, le travail pour arriver à une Convention générale sur le terrorisme et par la même, une définition commune du « terrorisme » semble encore long. De nombreux désaccords subsistent entre les Etats. Ces tensions portent principalement sur la place à donner aux luttes de libérations des peuples et sur l’inclusion ou non du « terrorisme d’Etat » dans la définition.

Terrorisme, « Terrorisme d’Etat » et droit à l’autodétermination5 :

Lors de la dernière Assemblée générale des Nations Unies, ces tensions se sont encore fait largement sentir. Plusieurs Etats ont rappelé l’importance d’opérer une distinction claire entre le terrorisme et le droit légitime des peuples à lutter pour l’autodétermination6. Les Nations Unies considèrent d’ailleurs la violation de ce droit à l’autodétermination comme l’unes des causes du terrorisme. D’autres Etats ont par ailleurs rappelé leur volonté d’inscrire dans la définition du terrorisme une condamnation claire des pratiques adoptées par certains Etats et pouvant constituer des actes de « terrorisme d’Etat » et l’importance de condamner le terrorisme sous toutes ses formes, y compris le terrorisme d’Etat. Lors de ces derniers réunions, la Thaïlande a quant à elle clairement marqué son opposition à l’inscription du « terrorisme d’Etat » dans la définition.

  • Union européenne

Les actes intentionnels (…) qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale lorsque l’auteur les commet dans le but de : gravement intimider une population ou contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale7.

Contrairement à la définition proposée par les Nations Unies, il est spécifié dans la décision-cadre européenne que cette définition de l’infraction terroriste ne s’applique pas aux forces armées d’un Etat dans le cadre d’un conflit armé, ainsi que dans le cadre de l’exercice de leur fonction officielle, ces situations étant régies par d’autres règles de droit international8. La définition s’applique donc aux cas de conflits armés, mais est alors seulement opposable à toutes personnes ne relevant pas des forces armées d’un Etat.

 

La définition des Nations Unies vise deux intentions spécifiques dans le chef de l’auteur d’un acte terroriste. L’Union européenne reprend ces dernières, tout en y ajoutant une troisième, celle de « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales (…) d’un pays ou une organisation internationale ». Cette intention se retrouve également dans la définition donnée en droit belge, qui n’est rien d’autre qu’une retranscription relativement scrupuleuse de la définition européenne. Le fait de déstabiliser gravement les structures fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale est ainsi considéré comme l’une des atteintes les plus graves aux sociétés démocratiques telles que nous les connaissons, et dont la remise en cause ne peut ainsi se faire que dans des limites préétablies. Ces structures fondamentales sont également considérées comme consubstantielles d’un régime démocratique, il n’y aurait pas de démocratie sans elles, y compris les structures économiques. Destabiliser les structures économiques afin de le mettre en question devient ainsi condamnable.

 

  • Belgique

Infraction qui, de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale et est commise intentionnellement dans le but d’intimider gravement une population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale9.

L’inscription de l’infraction terroriste dans le Code pénal belge peut être interprétée comme un basculement par rapport au statut réservé à l’intention politique d’un acte posé. Aux origines de l’Etat belge, la Constitution conférait un statut privilégié à l’intention politique. Le délit politique est ainsi assorti d’un régime de faveur en réservant la compétence à la Cour d’assise, en assortissant d’exceptions la procédure pénal et en lui conférant le principe de non-extradition. Fidèle à l’esprit de l’époque et aux conditions de l’indépendance de la Belgique, ce statut reconnaissait une certaine noblesse à l’intention politique. L’acte doit effectivement être puni car il enfreint les règles du vivre ensemble, mais il reflète une certaine qualité d’âme de l’individu prêt à contrevenir aux règles et à se mettre en danger pour une certaine idée du bien commun. Au fil des années, ce régime de faveur a progressivement été rendu inapplicable, mais sans que le principe ait jamais été remis en cause.

 

L’inscription de l’infraction terroriste dans le Code pénal, suite à la loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes, constitue donc une rupture importante en opérant un revirement dans la perception de l’intention politique. L’intention terroriste, qui est assimilable à un objectif politique, devient un facteur aggravant justifiant une peine plus sévère. Ainsi, le législateur marque clairement son intransigeance face à toute volonté de déstabiliser l’ordre public dans un objectif de changement politique et s’autoproclame par la même comme la forme la plus aboutie de la démocratie 10.

  • France

Le législateur énumère une série d’infractions considérées comme des actes de terrorisme « lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur11.

La définition française est beaucoup plus floue que les précédentes. Un certain nombre d’infractions de droit commun, clairement délimitées12, sont considérées comme des actes de terrorisme dès lors qu’elles sont assorties de la motivation précitée. La définition de cette intention est à elle-seule inquiétante. Qu’entend-on par « gravement troubler l’ordre public ? » ou par « intimidation » ? Une manifestation syndicale n’est-elle pas un trouble important à l’ordre public qui a vocation à intimider un gouvernement pour infléchir l’une de ses politiques ? De plus, cette définition ne fait aucune référence au fait de porter atteinte à des civils ou à des structures de l’Etat, la simple intention de troubler l’ordre public ou d’intimider le gouvernement est constitutive d’un acte de terrorisme.

  • Etats-Unis

Le Code pénal étasunien fait la distinction entre le « terrorisme international » et le « terrorisme domestique ». Les deux définitions ont cependant certains éléments en commun.

Activités qui impliquent des actes dangereux pour la vie humaine et qui constituent une violation de la loi pénale des Etats-Unis ou d’un autre Etat et qui paraissent être commis dans l’intention (appear to be intended) : d’intimider ou contraindre une population civile ; d’influencer la politique d’un gouvernement par l’intimidation ou la contrainte ; ou d’influencer la conduite d’un gouvernement par la destruction massive, l’assassinat ou le kidnapping. »

Définir, c’est créer, porter à l’existence

Définir le terrorisme est un exercice périlleux qui met en lumière des désaccords parfois profonds sur la façon d’appréhender le phénomène. Dès lors, il est légitime de se questionner quant à l’opportunité de le définir, tant sur un plan juridique que politique, ainsi que sur la possibilité même d’arriver à un consensus au niveau international.

Au niveau des Etats, les définitions juridiques du terrorisme reposent souvent sur un certain flou et laissent un important pouvoir d’appréciation quant aux motivations de l’auteur. La liste des infractions visées est généralement restrictive et ne peut en temps que tel pas vraiment porter à confusion (la définition étasunienne est un peu plus confuse à cet égard). Il s’agit, à l’exception de certaines dispositions, de délits et de crimes de droit commun auxquels l’intention d’intimider, de contraindre, de déstabiliser confère le caractère terroriste. La qualification d’infraction de terrorisme repose donc sur l’appréciation du mobile réel ou supposé de l’auteur, appréciation d’autant plus subjective dans le cas qui nous occupe dûe au caractère politique que revêt l’infraction. Caractère qui, par essence, mobilise des considérations idéologiques subjectives et influence la perception que l’on se fait de l’infraction. De plus, bien souvent, le droit commun prévoit déjà des possibilités de poursuivre de tels actes, ainsi que de les soumettre à un régime spécial capable de répondre à la particularité de ces infractions. Il s’agit par exemple, en France, du régime particulier propre à la délinquance organisée. Pour les actes de terrorisme qui revètent un caractère massif, il existe également une qualification pénale leur correspondant : le crime contre l’humanité13.

Au niveau international, les hésitations politiques au sein des Nations Unies se sont également traduites par des incertitudes sur une définition juridique. De nombreux débats ont eu lieu, et continuent à avoir lieu, sur la nécessité ou non d’inscrire le terrorisme dans le statut de le Cour pénale internationale et ainsi le faire entrer dans les compétences de la Cour. Pourtant, tout comme au niveau national, la quasi-totalité des formes de terrorisme sont déjà interdites. En temps de guerre, elles sont interdites par les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977. En temps de paix, ils sont prohibés par les Conventions spécifiques des Nations Unies et les autres instruments pertinents en la matière14.

L’opportunité d’une définition est donc avant tout d’ordre politique. Définir c’est en effet donner vie, donner corps, faire exister. Les définitions préconisées par les Etats et les organisations internationales renferment des perceptions spécifiques du monde et une certaine idée des menaces auxquelles nous faisons face. Elles participent à perpétuer une lecture spécifique du monde et du jeu politique, en catégorisant, en décidant de ce qui est juste ou de ce qui ne l’est pas, en légitimant des rapports de force. Définir n’est donc pas objectif et chaque définition participe de la construction d’un certain rapport au monde.

  1. 1.La définition s’applique aux actes commis en temps de paix comme en temps de guerre, elle inclut donc les actes déjà condamnés par les Conventions de Genève comme les crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
  2. 2.Ce groupe «était chargé d’examiner les principales menaces et les défis auxquels est confrontée la communauté internationale dans le domaine plus large de la paix et de la sécurité, y compris les questions économiques et sociales qui sont liées à la paix et à la sécurité. Le Groupe devait aussi faire des recommandations sur les éléments d’une réponse collective»  (déclaration du Secrétaire général de l’ONU à l’époque, M. Kofi Annan : http://www.un.org/french/secureworld/panelmembers.html)
  3. 3.Un monde plus sûr : notre affaire à tous, Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement,  p.52. Le document dans son entièreté est à consulté en suivant ce lien : http://www.un.org/french/secureworld/index.html
  4. 4.Un monde plus sûr, Ibidem, p.48.
  5. 5.Ces préoccupations ont été exprimées dans le cadre des réunions de la Sixième Commission qui traite des questions juridiques de l’Assemblée générale.
  6. 6.Les Etats ayant manifesté cette préoccupation, lors de la dernière Assemblée générale des Nations Unies, sont l’Iran, le Qatar, la Libye, les Emirats arabes unis, le Pakistan et le Koweit.
  7. 7.Décision-cadre du Conseil de 2008 modifiant la décision-cadre de 2002 (2008/919/JAI)
  8. 8.Ibidem
  9. 9.Article 137 du Code pénal belge. La définition de l’infraction terroriste a été insérée dans le Code pénal belge suite à la loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes. Cette loi a été adoptée suite à la décision-cadre de l’Union européenne du 13 juin 2002 (citée ci-dessus).
  10. 10.Martin Moucheron, « Délit politique et terrorisme en Belgique : du noble au vil », Cultures & Conflits (En ligne), 61 | printemps 2006, mis en ligne le 17 mai 2006, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://conflits.revues.org/2038 ; DOI : 10.4000/conflits.2038
  11. 11.Extrait du Code pénal français.
  12. 12.Ces infractions sont listées dans l’article 421 du Code pénal français qui définit l’acte terroriste.
  13. 13.Vincent Sizaire, « Quand parler de « terrorisme » ? », Le Monde diplomatique, Août 2016
  14. 14.Ghislaine Doucet, « Terrorisme : définition, juridiction pénale internationale et victimes », Revue internationale de droit pénal, 3/2005 (Vol. 76), p. 251-273.