Terrorisme
en questions ?

Surveillez, j’ai rien à me reprocher

Sécurité versus liberté

Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les gouvernements mettent en place des politiques « efficaces » pour assurer la sécurité : fichage de la population, prolifération des mécanismes de surveillance, restriction des libertés individuelles. Mais ces politiques garantissent-elles réellement notre sécurité ? Non. On leur sacrifie pourtant la démocratie et l’État de droit. Voilà ce qu’on a. Est-ce cela qu’on veut ?

La lutte contre le terrorisme : moins de liberté et pas vraiment plus de sécurité

La fiche « Souriez, je suis protégé », nous rappelle que la « lutte contre le terrorisme » présente une tendance lourde, observable dans tous les États de droit et les démocraties : une atteinte continue aux droits fondamentaux pour garantir la sécurité des individus. Petit à petit, c’est la structure même de ce qui fonde nos démocraties qui s’érode.

Est-ce bien ? Est-ce mal ? Est-ce nécessaire ? C’est en tout cas la mission des pouvoirs publics de garantir tous les droits fondamentaux, dont celui de vivre en sécurité. Souvent pourtant, la sécurité et la liberté sont présentées comme deux vases communicants : si l’on veut plus de l’un, il faut abandonner un peu de l’autre. Partant de ce principe, les gouvernements ne pourraient combattre efficacement la menace terroriste que s’ils créent un nouveau cadre juridique établissant un nouvel équilibre entre ces deux valeurs. L’une étant subordonnée à l’autre. La sécurité devient la « condition d’exercice » de la liberté.

Souvent pourtant, la sécurité et la liberté sont présentées comme deux vases communicants : si l’on veut plus de l’un, il faut abandonner un peu de l’autre. La sécurité devient la « condition d’exercice » de la liberté

 

De plus en plus, la définition de la liberté est une définition négative : ce n’est plus la liberté d’agir dans une société démocratique et un État de droit, mais la liberté de jouir d’un ou plusieurs droits menacés. Contre la menace terroriste, présentée comme omniprésente et hautement imprévisible, il convient donc d’adopter toute mesure, même celles qui restreignent les libertés publiques, pourvu qu’elle soit efficace pour assurer la sécurité. Mais le sont-elles réellement ?

Sommes-nous toujours plus en sécurité ?

Ainsi, le Patriot Act mis en œuvre aux États-Unis aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, a généralisé une surveillance de masse ciblant potentiellement la population entière. La collecte et la rétention des données privées sont utilisées dans un cadre de prévention du terrorisme dans lequel tout le monde est visé. Cette loi d’exception n’a pourtant pas empêché les différents attentats terroristes qualifiés de djihadistes par les autorités, commis depuis 2001 aux États-Unis.

En Grande-Bretagne, l’Anti-terrorism, Crime and Security Act de 2001, votée en réaction aux attentats qui ont eu lieu aux États-Unis, déroge à la Convention européenne des droits de l’Homme après que le gouvernement britannique a déclaré « un état d’urgence menaçant la vie de la nation ». Une des mesures les plus problématiques de cette loi  prévoit par exemple la détention sans procès d’étrangers résidant en Grande-Bretagne. C’est sous cette loi d’exception qu’ont eu lieu les attentats de Londres de 2005. Ces attentats ont conduit au Terrorist Act de 2005 qui va encore plus loin que la précédente dans l’atteinte aux droits individuels.

En France, si des lois d’extension de la surveillance et du fichage ont été promulguées aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme a été la première fortement attentatoire aux droits individuels. Cette loi est en effet controversée, notamment en raison de l’article 6 qui impose aux opérateurs télécoms, aux fournisseurs d’accès, mais aussi à tout établissement public proposant un accès internet, de conserver les données de connexion pendant un an. Outre cette disposition, la loi oblige les compagnies ferroviaires, aériennes, maritimes de transmettre les données des passagers. La loi augmente également la durée maximale de garde à vue de 4 à 6 jours en ce qui concerne les « suspects » d’actes terroristes (pour rappel : tant qu’une personne n’a pas été condamnée, le principe de la présomption d’innocence est censée s’appliquer en État de droit). Cette loi n’a pourtant pas empêché les attentats contre Charlie Hebdo et les attentats de novembre 2015. Par contre, à la suite de ces derniers, l’ « état d’urgence » a été déclaré en France. Il s’agit d’une forme d’état d’exception par rapport à la Constitution permettant aux autorités administratives (préfet, police) de prendre des mesures restreignant les libertés comme les assignations à résidence, la fermeture de certains lieux, la dissolution d’associations, l’interdiction de manifester et les perquisitions de jour et de nuit. En état d’urgence, ce n’est pas le concept de « terrorisme » qui est mobilisé mais bien celui d’ « atteinte à l’ordre public ». Ici, on peut se demander jusqu’à où s’étend « l’ordre public » et ce qui le menace. Ainsi, l’état d’urgence en France a engendré l’assignation à résidence de dizaines de militants pour le climat et l’interdiction de manifestations durant les négociations internationales pour lutter contre le changement climatique, à Paris en décembre 2015. Le concept d’ « atteinte à l’ordre public », on le voit, peut facilement être monopolisé contre des militants  qui défendent la justice, la paix ou l’environnement.

Le concept d’ « atteinte à l’ordre public », on le voit, peut facilement être monopolisé contre des militants  qui défendent la justice, la paix, la solidarité, l’environnement

Plusieurs événements catégorisés par les autorités comme des attentats terroristes djihadistes (les meurtres d’un prêtre, de policiers, l’attaque du 14 juillet 2016 à Nice par un individu ayant foncé dans la foule avec un camion) ont été perpétrés sous ce régime d’état d’urgence.

L’efficacité n’est donc pas, en tout cas, absolue. Les attaques aux droits fondamentaux, elles, sont réelles et de plus en plus marquées au fil du temps. Le jeu ne vaut donc pas tout à fait la chandelle puisqu’au prix d’une sécurité qui n’est manifestement pas totale, ce sont les principes même de la démocratie qui sont mis à mal.

On peut également se demander si les mesures prises pour « assurer la sécurité », outre qu’elles contreviennent à nos droits élémentaires, sont réellement efficaces. Le fichage élargi, par exemple, donne une masse exponentielle d’informations à traiter par les services compétents. Pour la majeure partie de celles-ci, il s’agit d’informations inutiles qu’il faut pourtant traiter. Les informations utiles, elles, sont noyées dans le flot.

Le jeu ne vaut donc pas tout à fait la chandelle puisqu’au prix d’une sécurité qui n’est manifestement pas totale, ce sont les principes même de la démocratie qui sont mis à mal.

Des erreurs sont également commises. Et celles-ci ont des conséquences de plus en plus désastreuses sur les individus qui en sont victimes tant le principe de présomption d’innocence est mis à mal.

Oups, désolé. On s’est trompé…

Les exemples de pays ayant déjà mis en place un système de fichage de masse font état d’une longue liste d’erreurs de fichage. Souvent, il s’agit d’homonymie ou de noms mal orthographiés par les services, entraînant l’arrestation de personnes sans aucun lien avec des faits terroristes.

Ne prenant que le cas des États-Unis qui dénombrent à eux seul une importante liste d’erreurs de fichage, un rapport de 2014 du journal américain The Intercept a dévoilé le fait que, sur la liste gouvernementale de suspects terroristes, près de 50% des personnes inscrites sont reconnues comme n’ayant finalement aucune affiliation avec un groupe terroriste.

Dans cette absurdité du fichage de masse, on recense même trois enfants, âgés de deux, six et huit ans, classés par erreur comme suspects terroristes et arrêtés.1

Et en Belgique ?

La Belgique suit également cette logique de sacrifice des principes fondamentaux de notre État de droit et de la démocratie dans l’objectif d’assurer la sécurité. Et depuis bien avant qu’elle fût elle-même la victime d’attaques terroristes djihadistes.

Comme en temps de guerre, des militaires dans les rues

Dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme », des militaires ont été déployés dans les rues du Bruxelles aux lendemains de la tuerie dans les locaux du journal « Charlie Hebdo » à Paris en Janvier 2015. Contrairement à la France où des militaires sont déployés depuis 2005, la Belgique n’a pas été déclarée « en guerre ». Mais l’illusion est totale.

Alors que ces militaires ont été déployés pour contrer le risque d’attentat terroriste sur le territoire, les attentats du 22 mars 2016 ont été perpétrés alors qu’ils étaient déjà en fonction. A quoi servent-ils donc ? Probablement à renforcer le sentiment subjectif de sécurité.

Pourtant, on peut se demander si ce n’est pas tout le contraire qui se passe : la présence des militaires en rue instaure un climat de peur permanent, une atmosphère sociale délétère. Elle accroît, en fait, le sentiment subjectif d’insécurité. Les militaires sont en rue, ils nous rappellent qu’on doit avoir peur (de qui ?) et donc la nécessité de les voir là pour nous protéger.

La présence des militaires en rue est un leurre. Mais un leurre qui vient ébranler les fondements de nos sociétés démocratiques et qui menace plus que jamais, dans le climat anxiogène qu’il prolonge, le projet de notre société multiculturelle.

Et ceci alors que le déploiement de l’armée en rue en Belgique est illégal, depuis le début2. Quoi de plus logique : la mobilisation de l’armée dans son propre pays est un recours ultime en démocratie. Il est strictement encadré par la loi.

La Belgique organise ainsi le fichage massif des individus présents sur son territoire. Ce fichage a tout d’abord été rendu possible, dès 2006, par une Directive européenne relative à « la conservation de données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services  de  communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de  communications ». Cette Directive permet aux opérateurs de télécommunication de conserver, pendant une période de 6 mois à deux ans, le moment, le lieu, la durée, l’ampleur et la modalité d’une conversation téléphonique, d’un SMS ou d’un e-mail.

La Belgique organise ainsi le fichage massif des individus présents sur son territoire, dès 2006 par la transposition d’une Directive européenne pourtant invalidée par la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour constitutionnelle belge

Cette Directive a été invalidée par la Cour de Justice européenne concernant sa compatibilité avec le droit européen et la Convention européenne des droits de l’Homme. Cela n’a pas empêché la Belgique, ni d’autres pays européens, de l’inscrire dans son droit interne. La Cour constitutionnelle belge, dans son arrêt du 11 juillet 20153, a à son tour invalidé la loi sur la conservation de données pour cause d’ingérence et de violation des droits au respect de la vie privée.

La Belgique a pourtant élargi le spectre de ces rétentions de données personnelles à tous les secteurs de transport international (transport aérien, trains à grande vitesse, transport international affrété par cars et transport maritime).

A nouveau, il est contradictoire que ce fichage de masse ne permette pas un ciblage « efficace » des informations utiles dans le flot des données recueillies. Il existe pourtant des outils juridiques permettant une surveillance ciblée comme la mise sur écoute et la collecte d’information lorsque celle-ci est justifiée par des éléments concrets4 et encadrée par un juge. Notons d’ailleurs que la grande majorité des personnes ayant perpétré des attentats terroristes djihadistes en Europe étaient connues des services de police et de la justice.

Cette rétention de données s’accompagne d’une prolifération massive de caméras de vidéosurveillance dans les villes ainsi que la mise sur pied d’un réseau de caméras de reconnaissance des plaques minéralogiques. D’autres lois attaquent d’autres libertés publiques comme la liberté d’expression ou la liberté d’association (la loi rendant punissable l’incitation indirecte au terrorisme, la loi sur les détentions préventives, la loi sur la déchéance de nationalité, etc). Celles-ci rendent potentiellement possible la criminalisation de mouvements sociaux, comme les syndicats, les mouvements de défense des droits ou de solidarité internationale.

Existe-t-il d’autres pistes qu’un appareil sécuritaire liberticide ?

Après les attentats de Paris du 13 novembre 2015, l’un des auteurs des attentats, en fuite, est repéré à Bruxelles. L’information sur la planque du terroriste est communiquée par un policier d’origine maghrébine à son chef de corps. Ce dernier a la responsabilité de communiquer l’information au service adéquat de la police judiciaire. Il ne le fera que bien plus tard, peu avant les attentats du 22 mars à Bruxelles dans lesquels la personne est également impliquée. Conflit personnel entre le policier et son chef de corps ? Acte raciste ? En tout cas, un fait qui démontre qu’avant le déploiement d’un arsenal sécuritaire liberticide, beaucoup de pistes, plus légitimes, plus efficaces et moins coûteuses devraient être mises en place.

« Plus de police » peut passer par une police plus proche de la population. C’est peut-être pour cette raison que l’association « Belgian sun cops » réunissant des policiers d’origine étrangère rappelle que  » en matière de terrorisme, les gens ont peur. Mais quand on est d’origine arabe, c’est peut-être plus facile. Les infos remontent. Elles ne remontent pas pendant les heures de boulot mais en permanence, quand le policier se promène, fait son marché… On vient lui parler des agissements suspects de l’un, de l’autre qui a fait quelque chose, raconte des choses louches aux jeunes. Ce n’est pas l’omerta comme on veut le faire croire. A la police, il faut des moyens humains ».  

En matière de terrorisme, les gens ont peur. Mais quand on est d’origine arabe, c’est peut-être plus facile. Les infos remontent. Elles ne remontent pas pendant les heures de boulot mais en permanence, quand le policier se promène, fait son marché… On vient lui parler des agissements suspects de l’un, de l’autre qui a fait quelque chose, raconte des choses louches aux jeunes. Ce n’est pas l’omerta comme on veut le faire croire. A la police, il faut des moyens humains

Plusieurs lois et initiatives politiques participent en Belgique à l’abandon progressif de la séparation des pouvoirs et à l’extension des prérogatives du pouvoir exécutif au détriment des pouvoirs judiciaire et législatif. Pensons par exemple à la loi sur les sanctions administratives communales5.

En 2016, le gouvernement édicte un « plan de sécurité niveau 5 ». A l’image de la France qui a établi l’état d’urgence, une des mesures du gouvernement prévoit des mesures temporaires et exceptionnelles garantissant la sécurité publique. Cette situation particulière devrait être confirmée par le Parlement dans les cinq jours suivant son instauration et pourrait s’étendre sur une durée de trois mois. Les autorités locales auraient une compétence d’interdiction de rassemblement et de toute activité jugée à risque pour la population. Elles pourraient assigner des personnes à résidence et organiser des perquisitions « administratives » (sans le contrôle d’un juge). Quant au contrôle juridique et parlementaire, il ne s’effectuerait qu’à posteriori.

Il est à craindre que cette frénésie législative aggrave les tensions et participe aux effets qu’elles cherchent justement à combattre.

Il est à craindre que cette frénésie législative aggrave les tensions et participe aux effets qu’elles cherchent justement à combattre. Comme le rappelle le Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité des Nations Unies :

Les mesures de lutte contre le terrorisme qui ne respectent pas pleinement les droits de l’homme et l’État de droit contribuent à la radicalisation et sont de nature à alimenter la mobilisation des combattants étrangers6

Sans compter les effets que ces législations pourraient avoir sur les citoyens qui, a priori, n’ont « rien à se reprocher ».

Il existe des alternatives à l’appréhension purement sécuritaire et punitive dans la lutte contre le terrorisme. Il est primordial d’envisager le problème du phénomène de l’extrémisme violent comme sociétal et pas seulement individuel. La catégorisation et la stigmatisation enveniment la crise.

  1. 1.http://www.dailywire.com/news/6879/these-13-people-placed-terror-watch-list-will-blow-amanda-prestigiacomo#
  2. 2.Plus de renseignements sur le caractère illégal du déploiement des militaires en rue, voir l’article à propos de la campagne « Rue sans soldats » : http://www.cnapd.be/wp-content/uploads/2015/05/LeSoir-06-05-2015-le-kaki-en-rue-juge%CC%81-hors-la-loi.pdf
  3. 3.Arrêt n° 84/2015 du 11 juin 2015
  4. 4.Voir l’avis de la Ligue des droits de l’Homme concernant le projet de loi relatif à la collecte et à la conservation des données dans le secteur des communications électroniques : https://nurpa.be/files/20160215_avis-associations-droits-homme-projet-loi-conservation-donnees.pdf
  5. 5.A ce sujet, voir l’article de la CNAPD « Lâcher le droit pour l’ombre de la sécurité » : http://www.cnapd.be/sanctions-administratives-communales-toujours-plus-severes-cest-parti/
  6. 6.A/70/330, « Utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination », Assemblée Générales des Nations Unies, août 2015.