Sauvez-nous, bombardez-les !
Chaque attentat à caractère djihadiste sur le sol européen et américain a amené à la guerre. Une guerre devenue concrètement mondiale, aujourd’hui. Cette guerre se fonde sur une vision de « choc des civilisations » entre l’Occident et le reste du monde. Alors que la guerre reste la seule option envisagée pour lutter contre le terrorisme, l’on observe son inefficacité et sa contre-productivité : elle alimente le phénomène qu’elle entendait combattre.
Contre le terrorisme djihadiste : la guerre de civilisations sans frontière
Quand on analyse les discours et les actes de pays européens et américains victimes d’attentats terroristes sur leur territoire, on constate que deux éléments se retrouvent systématiquement :
– Une logique de guerre « civilisationnelle » : ce serait la liberté, la démocratie et notre « mode de vie » qui sont attaqués par des « barbares ». Ce sont des idéaux à visée universelle qui sont attaqués par des personnes rejetées en dehors de l’humanité. La confrontation ne se situe alors pas sur le plan politique et donc aussi juridique, mais bien sur le plan de la morale. Cette morale peut alors parfois servir de justificatif pour dépasser la loi.
– Une mondialisation de la menace : la guerre contre le terrorisme ne connaitrait pas de frontières temporelles et spatiales. Elle peut se déployer partout ou des groupes et/ou des États participent à et/ou soutiennent l’entreprise de la terreur.
Ainsi, le soir du 11 septembre 2001, le Président des États-Unis Georges W. Bush déclara : « aujourd’hui, l’Amérique a été visée parce que nous sommes la lanterne de la liberté et des opportunités dans le monde ». C’est pourquoi, quelques heures après les attentats contre le World Trade center, le Président américain engagea son pays dans une « guerre contre la terreur » pour « aller de l’avant pour défendre la liberté et tout ce qui est bon et juste dans notre monde ». François Hollande dira lui aussi, trois jours après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, que « Nous sommes en guerre » contre « le groupe Daech qui nous combat parce que la France est un pays de liberté, parce que nous sommes la patrie des Droits de l’Homme »1.
Une semaine après les attentats (le 20 septembre 2001), Georges W. Bush précisera que « notre guerre contre la terreur ne se terminera que lorsque chaque groupe terroriste qui peut frapper partout dans le monde aura été repéré, arrêté et vaincu. (…) Chaque pays qui continue d’abriter ou de soutenir le terrorisme sera considéré par les États-Unis comme un régime hostile ». Ce discours annonçait l’invasion américaine de l’Afghanistan. Il servira aussi à légitimer la guerre de 2003 contre l’Irak. François Hollande annoncera que « La France intensifiera ses opérations en Syrie [qui est] devenue la plus grande fabrique de terroristes que le monde ait connu. […] Le terrorisme, nous le combattons partout là où des États sont menacés pour leur survie même ».
A l’exception des attentats de Madrid de 2004 qui ont abouti au retrait de l’Espagne de la guerre d’Irak, tous les attentats sur le sol occidental ont conduit à la guerre ou à l’approfondissement d’une guerre qui lui était préexistante.
La Belgique était engagée dans la « guerre contre le terrorisme » en Afghanistan et en Irak au moment des attentats du 22 mars à Bruxelles. Ceux-ci serviront de justificatif pour l’extension de la participation belge aux bombardements en Syrie. La Belgique soutient alors qu’elle agit en position de « légitime défense », de manière totalement illégale au regard du droit international et de manière illogique puisque les terroristes qui ont perpétré ces attentats habitaient pour la plupart en Belgique.
On le constate aujourd’hui : la guerre contre le terrorisme est en effet et concrètement devenue sans frontière. Rétrospectivement, on peut observer que le caractère civilisationnel de cette guerre, s’il est faux à l’analyse, peut faire office de prophétie auto-réalisatrice2.
Le caractère civilisationnel de la guerre contre le terrorisme fait office de prophétie auto-réalisatrice.
Comment pouvoir faire la guerre partout ? En faisant une guerre préventive.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont justifié l’invasion de l’Irak de Saddam Hussein en 2003 parce que ce pays était placé sur l’« axe du mal » des États soupçonnés de soutenir le terrorisme. A ce moment, l’Irak est accusée de détenir des armes de destruction massive capables de frapper l’Occident. Des preuves sont fabriquées de toutes pièces pour légitimer une intervention militaire « parce que les risques de l’inaction seraient encore beaucoup plus grands. Dans un an, peut-être cinq ans, la capacité de l’Irak de nuire aux autres pays serait multipliée à l’infini » (discours du Président Bush à la nation. 17 mars 2003). La guerre d’Irak de 2003 était donc une guerre préventive, destinée à frapper avant que l’autre ne frappe et sans savoir s’il a réellement l’intention de frapper.
La guerre préventive est évidemment une guerre illégale au regard du droit international. Elle a été indirectement mobilisée pour justifier la guerre de la Belgique en Syrie en juillet 2016.
Par contre, Georges W. Bush n’a pas mobilisé le concept de guerre « préventive » mais bien celui de guerre « préemptive ». La notion de préemption est classiquement distinguée de celle de guerre préventive, par l’imminence et la certitude de l’attaque adverse. En anglais le terme « preempt » signifie « devancer » tandis que le terme « prevent » signifie « prévenir ». Le terme de « guerre préemptive » implique, de la part d’un adversaire, une menace réelle et pouvant être constatée et vérifiée.
La guerre « préemptive » est légale au regard du droit international uniquement dans le cadre d’un conflit armé. Cependant, malgré cette restriction, certains poussent cette définition hors de ses limites en défendant qu’une guerre préemptive serait légale dans le « nouveau » contexte du terrorisme où les ennemis sont d’un type transnational et où le contexte de guerre est latent et larvé. Une guerre sans limite de temps et d’espace.
La guerre contre le terrorisme : inefficace et contre-productive
Commencée en Afghanistan, la guerre contre le terrorisme telle qu’on la connaît depuis 2001 a démarré contre un foyer de crise à caractère terroriste à plus de 15 foyers aujourd’hui. Elle a fourni le cadre des interventions militaires en Irak, en Syrie, en Libye, au Mali, au Tchad, au Niger, au Yémen, en Somalie. Et ailleurs. Elle sert de justification récurrente à bon nombre d’États qui interviennent militairement contre des groupes à l’intérieur de leurs frontières ou dans leur environnement.
La guerre contre le terrorisme en Afghanistan, un échec cinglant
L’intervention militaire américaine3 « Enduring Freedom »4 qui a débutée trois semaines après les attentats du 11 septembre 2001 avait pour objectif, d’après le Président Bush, de « faire la guerre à la terreur. (…) De frapper les camps d’entraînement terroriste et les installations militaires du régime des talibans. (…) La destruction des camps et la perturbation des communications rendront plus complexes les tâches du réseau de la terreur […]»
Le régime des talibans est renversé deux mois après le début de l’intervention. Ce renversement ne marquera pas la fin de l’intervention militaire, bien au contraire. Depuis la chute rapide du régime des talibans, une guerre de guérilla utilisant la technique terroriste s’est installée sur tout le territoire qui a officiellement justifié l’envoi de plus en plus massif de soldats étrangers sur le terrain. La force internationale a compté jusqu’à 150.000 hommes, dont 620 militaires belges avec 6 avions chasseurs-bombardiers. Cette guerre aura coûté la vie à 21.000 civils. Au total, la participation de la Belgique à la guerre en Afghanistan aura coûté 1,4 milliard d’euros.
Malgré la débauche de moyens mis en œuvre, l’échec de la guerre en Afghanistan est avoué par les alliés. L’intervention n’est ainsi pas parvenue à éradiquer le terrorisme en Afghanistan. Au contraire, 2011 est l’année qui a connu le plus d’attentats, 10 ans après le début de la mission militaire censée en venir à bout. Dans le même temps, les foyers d’insurrection, eux, se sont multipliés aux quatre coins du monde.
Une stratégie de pacification doit nécessairement passer par un redressement économique du pays. Or, l’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres du monde. Avec un indice de développement humain de 0.374, il se situe à la 175e place sur 186 pays5. Depuis 2001, l’aide internationale a injecté plus de 10 milliards de dollars dans l’économie afghane. Un centième de ce qui y a été dépensé par les alliés pour financer l’effort de guerre. Un effort de guerre pourtant manifestement inutile et qui n’a fait qu’empirer le problème.
Le terrorisme justifie désormais également des « guerres préventives » (voir encadré) ainsi que des « guerres secrètes » qui voient certains États de la planète intervenir militairement dans des pays étrangers sans que cela n’ait entraîné une déclaration de guerre : opérations clandestines de certaines forces spéciales (notamment les forces spéciales françaises, britanniques, américaines et italiennes en Libye en 2015-2016) ou autres campagnes d’assassinats ciblés dont les plus connues sont les campagnes d’assassinats ciblés d’individus à l’aide de drones par l’administration du Président américain Obama au Yémen et au Pakistan.
On le voit, la guerre contre le terrorisme est :
– Inefficace : on n’a jamais autant connu d’attentats terroristes à caractère djihadiste, que ce soit en Europe ou dans le monde, que depuis le début de cette guerre
– Contre-productive : elle nourrit de nouveaux foyers d’insurrection.
La guerre est toujours la seule option envisagée pour lutter contre le terrorisme. Or, elle alimente le terrorisme
Quand il s’agit d’identifier les moyens de lutter contre le terrorisme au niveau international, la guerre reste pourtant la seule solution envisagée. Or, elle alimente le terreau principal qui rend le terrorisme possible, comme le rappelle les Nations Unies : « Le terrorisme se nourrit du désespoir, des humiliations, de la pauvreté, de l’oppression politique, de l’extrémisme et des violations des droits de l’homme; il trouve un terreau dans les contextes de conflit régional et d’occupation étrangère ; et il fait son lit de l’incapacité des États à maintenir l’ordre public
« Guerre contre le terrorisme », un jeu de mots ?
Le mot de guerre s’applique à un contexte précis : celui où deux entités d’existence internationale (des Etats, des regroupements d’Etats, des institutions régionales ou internationales) se battent dans le respect de règles établies. Un respect dont ils devront répondre à la fin de la guerre. Il n’est donc pas approprié dans le cadre du terrorisme où le phénomène est spécifique. La guerre contre le terrorisme insinue une lutte contre une violence criminelle, mais fait appel aux moyens utilisés normalement par les États dans des conflits internationaux.
L’utilisation de l’expression « guerre contre le terrorisme » fausse les raisonnements parce qu’elle laisse penser que « le terrorisme » est un ennemi. Or, le terrorisme n’est ni une idéologie, ni une menace stratégique (ne s’appuyant sur aucun Etat). Le terrorisme ne qualifie pas plus un groupe ethnique ou un mouvement politique. Le terrorisme est une technique, une méthode de combat. Difficile donc de lui « faire la guerre ».
- 1.Discours du président de la République devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015 http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-devant-le-parlement-reuni-en-congres-3/
- 2.Une prophétie auto-réalisatrice est qui modifie des comportements de telle sorte qu’ils font advenir ce que la prophétie annonce. Une prophétie qui ne repose donc à la base sur rien de concret.
- 3.Plus de 40 nations ont participé aux premières heures de l’opération sous commandement américain, au premier rang desquelles : le Royaume-Uni, le Canada, la France, l’Australie, l’Espagne, la Turquie, l’Ukraine. Les pays membres de l’OTAN, en se référant à l’article 5 d’assistance mutuelle de son Traité, ont convenu de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour participer à l’effort de guerre par le partage de renseignements, la mise à disposition des infrastructures militaires, la liberté de circulation des appareils et des fournitures militaires, etc. La Belgique n’a pas fait exception.
- 4.Cette appellation, que l’on traduit par « Liberté immuable », a été par après reprise dans différentes missions américaines de « lutte contre le terrorisme ». Il y a, notamment, l’opération « Liberté immuable – Corne de l’Afrique », « Liberté immuable – Sahara/Sahel », « Liberté immuable – Philippines », etc.
- 5.ONU, Rapport sur le développement humain 2013.