Terrorisme
en questions ?

De toute façon, on ne peut rien y faire

Quelques pistes d'engagement

Des solutions ? À combiner avec énergie, intelligence, humilité. Et bonheur.

On ne saurait faire la guerre à la technique terroriste. Le mirage du tout répressif écrase les personnes et nie la vie complexe des êtres. Par contre, on peut travailler les terreaux de l’absurde et de la colère. Faire pâlir l’étoile en carton pâte des camelots de la violence et diminuer l’attraction spécieuse des extrémismes violents. Voyons la critique, le débat et la pluralité comme des richesses. Les jeunes, souvent en révolte légitime, souhaitent adhérer à une vision, un projet, une construction qui proposent un horizon plus beau que l’état des lieux. Réconcilier un devenir nécessairement collectif et la liberté fondamentale de chaque personne.

 

« Des attentats, il y en aura encore. On ne peut rien faire qu’attendre et puis frapper ! » Voilà une idée bien répandue. Tellement évidente – empreinte de « bon sens » dit-on  – qu’elle ne pourrait être remise en question. Conséquence : la simple gestion du phénomène se traduit surtout par l’inflation de la répression violente et sans nuance. Pourtant, les résultats des choix sécuritaires sont tristement faibles. Logique. L’arsenal déployé ne se préoccupe pas en amont de soigner le terreau des révoltes. Pire, il les nourrit. Le Plan d’action  pour la prévention de l’extrémisme violent de l’ONU1 est éloquent : il est nécessaire d’adopter une approche plus globale, d’affiner et d’accélérer notre apprentissage des outils qui existent et qui fonctionnent. À tous les niveaux, il y a des choses à faire. Autant que faire se peut. L’objectif ? Bien sûr affaiblir l’attractivité des arguments qui font leur lit violent des compromissions et démissions diverses. Mais surtout, construire un monde plus juste ! Rien que çà.

 

Pour une justice humaine et efficace!

Bon, OK, à court terme, la sécurité humaine passe aussi par le renseignement intelligent, les moyens de force et la justice institutionnelle. Mais, au 21ième siècle, la prolifération des concepts brutaux et des méthodes expéditives condamnent notre espace de liberté et de démocratie. Construire durablement la paix, c’est exiger un outil sans doute répressif mais surtout humain et performant. Exigeons un pouvoir judiciaire indépendant  et accessible à tous ! Qui encadre les interventions de la police. Qui pense et réclame les outils légaux dont elle a besoin. Qui accompagne la résilience sociale. Ce travail contribue à assécher le terreau des colères quand il fait gagner l’idéal de justice en corrigeant toutes les criminalités.  Bien plus que la logique de la guerre, ce logiciel de la justice construit la paix. À ces conditions, nul doute que la prise en charge des personnes tentées par la violence politique produira du sens.

 

« Politique », quel beau mot !

L’homme est un zoon politikon… Un quoi ? Doué de la parole et du raisonnement, il peut réfléchir, choisir et organiser la vie qu’il partage dans la Cité. Animal social qui ne peut vivre seul, il est capable de se projeter avec ses semblables pour construire la vie. Investissons le champ politique ! Il y a tant de combats à mener qu’il est suicidaire d’abandonner la souveraineté politique aux autruches, pigeons, vautours et faucons de tous bords. Qui veut travailler la paix veut mettre la main dans le cambouis des relations humaines pour anticiper, améliorer, imaginer et rêver d’un monde digne. Trop souvent, l’épouvantail terroriste nous éloigne des luttes humanistes. L’utopie de la paix – le lieu de l’Idée qui n’existe pas ! – structure la révolte et l’engage dans un processus collectif et vivant de transformation bien concrète. Ici , une liste non exhaustive : il y a de la place pour tout le monde.

 

Pour une conception globale de la sécurité !

La simple gestion des crises ne s’embarrasse pas de la recherche des causes de la violence. Ni même de projeter leur difficile résolution. L’ONU, oui ! Les éclats de violence sont souvent les conséquences d’une matrice de la violence. L’analyse des menaces des Nations Unies est claire : le recours injustifiable au terrorisme est une menace qui procède des autres menaces à la paix et la stabilité. Investissons nos énergies et nos ressources dans la poursuite de la réalisation des 17 objectifs de développement durable ! Car c’est là agir sur les causes fondamentales de l’instabilité, de la pauvreté, de la violence systémique. (Qu’est ce que c’est ? C’est par  )

 

 

Libérons la parole, libérons les idées !

Il est vital de débattre autour de toutes les idées. Dans les classes, dans les familles, dans les groupes informels. C’est l’affaire de chacun, au cœur des diverses appartenances qu’il se reconnaît, de travailler les représentations de soi, de chasser les préjugés de l’autre, de participer à construire ensemble d’autres schémas de pensée. Sur chaque terrain, chacun peut questionner et encadrer la tentation de l’extrémisme, du racisme et de la violence.  La parole radicale doit être entendue. Cherchons à comprendre les arguments et les émotions qui l’animent. Elle est motrice d’indispensable remise en question et peut être à l’origine d’un « nous » sincère, informé, en mouvement vers l’avenir. La radicalité non violente des valeurs humanistes n’a-t-elle pas fait bouger les lignes grâce à la force de personnes critiques qui ont eu l’enthousiasme et la volonté ? Voilà qui sape l’argumentaire exclusiviste et victimaire des entrepreneurs de la terreur.

La révolution lente et active des consciences

Un premier niveau d’action, le plus essentiel peut-être, le niveau personnel. La peur, l’ignorance ou la complexité inhibent la confiance dans le potentiel des hommes à améliorer le monde. Les dossiers de « terrorisme » contribuent grandement à ce découragement et au renforcement du cynisme. C’est compréhensible. Mais, lorsqu’il s’agit de penser et d’agir, y céder signifierait la victoire des groupes politiques qui n’envisagent la collectivité que sous un angle autoritaire, voire totalitaire. Ce serait aussi conclure avec les nihilistes que rien en l’homme n’est bon et qu’il vaut mieux fatalement tout laisser filer jusqu’à la destruction finale.

Pourtant, il existe un paquet de femmes et d’hommes ordinaires qui consacrent leur énergie à  travailler les ingrédients d’un monde plus en paix. À inoculer partout où elles et ils vivent la semence fertile du désir dynamique de mieux dans les cœurs et les cerveaux. C’est certainement inconfortable tandis que le divertissement des choses essentielles n’a jamais été aussi efficace. Mais l’ignorance serait-elle la paix de la vie ? Non. À lire ces femmes et ces hommes, les écouter et les vivre, cette voie semble porteuse de mouvement et de vie.

 Il faut imaginer Sisyphe heureux

Albert Camus

Prendre une part humble, critique, responsable et active à la marche du monde est un support formidable au désir de réalisation de soi, les yeux ouverts. Un désir librement consenti, parfois radical, de fraternité et d’égalité. Il ne s’agit pas de se soumettre intégralement à la dictature de la cohérence absolue et de l’efficacité. Il s’agit plutôt de penser l’éthique de sa propre vie et de son rapport aux autres en fonction d’idéaux et de valeurs humanistes. Nous pouvons mettre le doigt là où ça fait parfois mal, poser des justes questionnements sans tabou, réfléchir ensemble. Nous pouvons débattre du sens des valeurs et les proposer au crible de l’universalisable. Et puis faire des choix pour structurer solidairement les relations humaines, culturelles, politiques et économiques. S’engager. Sans ressentiment coupable, dans l’idée de s’accomplir, conscients du passé, tournés résolument vers l’avenir. Ça ne va pas de soi, c’est un choix et un travail.

Les chantiers sont nombreux car les pièges sont nombreux. Par exemple, travailler son rapport à l’altérité, c’est aussi questionner qui sont « Je » et « Nous ». C’est refuser d’enfermer des personnes dans des catégories qui fabriquent « l’autre » et comportent l’artificiel avantage de transférer vers lui un formidable potentiel de culpabilité. Et au passage de légitimation abusive de soi. Chacun peut consciemment explorer les identités plurielles qu’il se reconnaît et construire un avenir sur la base d’une introspection sincère et – pourquoi pas ?- heureuse. Réapprendre à explorer, affronter et assumer sa propre complexité car tout ce qui est simple est nécessairement faux. Et parier que nous sommes en mesure de faire quelque chose de la complexité, de la diversité, de la nature plurielle de son être humain. En dépit des tentations relativistes et fatalistes, mettre et remettre l’ouvrage sur le métier.

 

Des hommes, un territoire, des institutions.

Un autre niveau d’action, l’Etat, la chose publique des citoyens. Nous pourrions nous réapproprier les outils formidables de l’Etat belge et de l’Union européenne, animés sur papier par des valeurs lumineuses. Du papier à la réalité, il y a du boulot. Pour penser le cadre national en-dehors de ses crispations identitaires, pour libérer ces structures des inféodations nocives – un travail de Titan -, enfin pour susciter l’adhésion et le respect. Le dialogue constructif des identités plurielles permettrait de dégager avec force le bien commun. Là encore, cette ambition de réhumaniser – de politiser donc – les sociétés civiles doit s’attaquer à certaines représentations collectives, à certains schémas si profondément ancrés dans l’inconscient qu’ils paraissent naturels. « On a toujours fait comme çà ! ». Soit. Qui est « on » ? C’est quand « toujours » ? C’est quoi « çà » ? Identifier et déconstruire les logiciels de la violence, de la guerre, de la compétition, de l’exploitation, de l’exclusion, c’est aussi questionner les concepts fondateurs d’un projet commun plus pacifique. Eminemment politique.

Dans sa lutte contre l’attraction des groupes violents, l’ONU plaide pour davantage de démocratie, d’état de droit et de bon gouvernement. Les missions des États doivent être repensées et revigorées. Le rôle fondamental de l’éducation doit être défendu par des programmes ambitieux. Il doit financer le travail de terrain qui s’immisce dans les failles de fragmentation sociale et qui fabrique du lien. Créer des climats propices au travail de la société civile et de tous les acteurs de citoyenneté pour créer du lien avec tous les résidents. Il doit veiller à créer de l’unité en luttant activement contre toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de repli identitaire. Il doit donc mener des politiques sociales volontaires, notamment en matière de moyens écologiques et équitables de production pour lutter contre le désœuvrement et les inégalités. Il doit augmenter et propager les services aux personnes en tenant compte de tous les résidents. Créer des perspectives pour tous est la meilleure stratégie pour désactiver l’attraction des extrémismes violents. La liste n’a rien d’exhaustif. Bref, cette synthèse exige plus de services publics, plus d’investissement social et l’exemplarité des gouvernements.

 

Objectif Monde.

Ce n’est plus un choix. Le troisième niveau d’action, c’est celui de la mondialisation. Les injustices existent. Le plus souvent, elles sont des productions humaines. Des possibles avérés qui ont prospéré parce qu’ils paraissaient plus simples, abusivement décrits comme naturels. Les doubles standards, les aventures guerrières, la priorité des intérêts particuliers ruinent à la grossière râpe à fromage l’invitation universalisable des valeurs qui sont pourtant affichées sur les oripeaux. Réorienter cette marche historique des choses simples, fausses ou destructrices demande de la force, de l’échange et de la persévérance.  Alors, sur le terrain globalisé et déboussolé de la géopolitique, exigeons toujours davantage de cohérence des gouvernements des États et fédérations d’États Appelons encore et toujours à ce qu’ils travaillent dans le cadre du droit international et dans le respect strict du droit international des droits de l’homme. À ce qu’ils investissent de façon significative les moyens de la coopération internationale, de la diplomatie, de l’accompagnement des inévitables conflits.

La dignité, le meilleur rempart contre la violence

Albert Camus

L’hypothèse du choc des civilisations sert à légitimer le cynisme et la cécité volontaire des acteurs hégémoniques qui œuvrent à sa concrétisation mortifère. Ne lui accordons aucun crédit. « Nous réaliserons un monde qui se portera bien !» : voilà une prophétie optimiste, inclusive, ouverte qu’il nous revient de réaliser. Ce « Nous » pluriel et mondial, ainsi que ses outils structurants comme une ONU réformée radicalement, sont à vivifier tous les jours dans les relations internationales. Sur les plans culturel, politique, social et économique. Nous devons vouloir écrire un récit commun qui suscite un désir d’appartenance à l’espèce menacée en voie de disparition : l’être humain. Son actualisation passera par des sociétés ouvertes, équitables, inclusives, plurielles qui collaborent dans l’enthousiasme à cultiver et entretenir le domaine qui lui assure les conditions mêmes de la vie. Mais elle passera aussi par un financement à la hauteur des enjeux afin de donner une chance réelle à cette coopération internationale pour la dignité des êtres. Ça, ce serait unique dans l’histoire des hommes. Ce sera long et rigoureux. Mais c’est vital, rationnel et courageux.

 

Du concret, du c-o-n-c-r-e-t !

 

Evidemment, cette foi à vouloir changer les logiciels humains va se heurter à la critique récurrente « Tout çà, c’est abstrait ! ». La révolution non violente des pensées ne saurait être que lente. Soit. Mais il n’est pas nécessaire d’attendre que chaque personne l’ait intégrée pour faire bouger les choses à son propre niveau. Voici donc du concret : 10 exemples à taille humaine pour se construire et participer à un monde moins violent.

  1. Citoyen-ne, je m’engage avec d’autres acteurs de la société civile dans des combats qui font progresser l’organisation sociale, la paix et la démocratie.
  2. Consommateur-rice, je pose des choix écologiques et solidaires. Je cherche à diminuer mon empreinte sociale et écologique et à ne pas alimenter la violence systémique.
  3. Travailleur-se, je pense ma vie professionnelle en fonction de mes valeurs citoyennes.
  4. En relation, j’essaie de tisser des liens là où je vis et de créer la rencontre au travers d’une attitude sociable, curieuse, bienveillante et créatrice de projets.
  5. En recherche et curieux-se, je m’intéresse à toutes les formes de culture et de représentation du monde.
  6. Critique, je pratique le doute méthodique et je m’informe auprès de sources différentes et plurielles qui m’invitent aussi à des remises en question.
  7. En confiance, je vis en débusquant et en combattant les logiques des groupes autoritaires et totalitaires : à la buvette, au repas de famille, dans la cour, etc.
  8. La paix, ça ne se suce pas du bout des doigts. Travailler la paix, dit l’ONU, c’est investir dans le travail d’éducation à la paix, à la justice, à la dignité. C’est enseigner les Droits de l’homme, le droit international, le droit des réfugiés et le Droit humanitaire international. Notamment auprès des forces de sécurité et d’accompagnement des peines de prison.
  9. Je parle, je dialogue et je m’efforce à suspendre mon jugement tant que je n’ai pas réuni une information rigoureuse et plurielle. Ça peut prendre du temps…
  10. En recherche de moi, je m’alimente du travail des sciences humaines, la sociologie, l’Histoire, la géographie, la philosophie, les théologies. Elles fournissent les clés de l’échange.

 

  1. 1.Assemblée générale des Nations Unies, Plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent, rapport du Secrétaire général, 24/12/2015.